
Bonus #9 Home Run to You

Ce n'était pas prévu du tout, sauf qu'au fil de l'écriture, je me suis prise d'affection pour l'un des personnages secondaires, Eiji, ce lycéen qui rappelle tant Connor à Sydney. Il a pris de plus en plus de poids parce qu'il se retrouve au centre de l'intrigue à cause de ses problèmes familiaux. Il va permettre de réunir Sydney et Connor, parce qu'ils sont, eux aussi, passés par là. Fortement poussée par Florine, une amie qui a fait de la bêta sur mon texte, j'ai décidé d'offrir à Eiji sa propre histoire, qui se déroulera deux ans après l'épilogue de Home Run to You.
Motivée à la fin de l'écriture de Home Run to You, je me suis lancée, mais j'ai rapidement manqué d'idées pour aller plus loin. Je peux toutefois vous offrir en exclusivité le premier chapitre (non corrigé et non définitif).
EIJI
Il y a deux ans, quand je suis arrivé pour ma première année à Brown, un sentiment d’imposture s’est immédiatement emparé de mon être. Je me demandais bien comment un gars comme moi pouvait avoir atterri ici. Cela me paraissait si improbable. Presque absurde. Il faut dire que la vie n’avait pas été spécialement tendre avec moi jusque-là, alors j’avais de quoi être septique. Ma mère, contrairement à moi, était folle de joie, si fière. J’avais tout donné durant mes deux dernières années de lycée pour remonter mes notes, je misais tout sur mes capacités en baseball pour décrocher une bourse sportive complète. C’était ma seule chance de toucher du doigt un établissement aussi prestigieux. Et étonnamment, tout a fonctionné.
Après notre départ de Waltham, à côté de Boston, pour rejoindre une petite bourgade du Michigan, pour fuir mon connard de père, je n’ai fait que broyer du noir. J’étais en colère tout le temps. J’avoue sans honte que je ne m’en serais pas sorti si bien sans le soutien de Sydney Abbott, l’assistante sociale qui s’est occupée de ma mère et moi. Ou encore grâce aux conseils de Connor McAclin, le capitaine des Red Sox que j’ai eu l’immense honneur de rencontrer au lycée grâce à un programme entre la MBL et la commune. J’étais trop englué dans mes problèmes pour voir que finalement la vie me donnait enfin un coup de pouce. Quand on n’est qu’un adolescent en perpétuelle rébellion, en colère, toujours sur ses gardes, on peine un peu à repérer les bonnes choses qui nous arrivent. Surtout quand on ne fait que vivre dans un brouillard bien noir et bien épais depuis des années.
Avoir grandi avec un père violent ne m’a pas aidé pas à m’épanouir. De même, être témoin de sa façon de traiter ma mère n’a pas favorisé mon envie de créer des liens amicaux ou sentimentaux. Je sais que je ne suis pas lui, mais je sais aussi qu’on ne peut pas lutter contre la génétique. Et si mon père avait fait plus que me léguer son nom, son physique ou sa carnation de peau ? Et si je tenais de lui ce tempérament agressif, impulsif et irrespectueux ? Je n’ai jamais fait part de cette crainte à qui que ce soit. Quand je sens que je commence à bouillir, je parviens toujours à prendre sur moi. J’ai trouvé mon échappatoire : le baseball. C’est mieux de frapper des balles que des vraies personnes.
Toujours est-il que la rentrée rime avec le début de ma troisième année et ce sentiment de tromperie ne m’a toujours pas quitté. Tout ici respire le fric, la notoriété, l’aisance. Tout ce que je ne suis pas. J’ai réussi à me faire des amis avec qui je m’entends super bien, cependant cela n’atténue pas cette sensation de ne pas avoir ma place ici.
J’ai passé les trois derniers étés auprès de ma mère à bosser pour pouvoir me payer une voiture digne de ce nom, en plus de mon boulot en semaine pendant mon temps libre à la fac. Je connais ma mère, elle aurait été capable de se priver pour me faire ce cadeau. Toutefois, j’ai décrété qu’elle avait déjà fait suffisamment pour moi, qu’elle méritait de se faire plaisir. J’étais tout à fait capable de m’offrir une voiture avec l’argent que j’aurais gagné. Brown ne rime pas avec tas de boue, alors les économies de deux années n’étaient pas de trop pour acheter une Dodge Challenger qui puisse faire illusion. Je savais ce que je voulais, cependant j’étais bien conscient que jamais je ne parviendrai à mettre autant d’argent de côté. Il a fallu que je ruse pour arriver à mes fins. Le véhicule que j’ai déniché avait besoin de beaucoup de réparations et d’un gros rafraîchissement. Par chance, le mari de l’amie de maman qui nous a accueillis à notre arrivée possède un garage. Il m’a pris sous son aile et m’a offert un job d’été et m’a tout appris. C’est en partie grâce à lui que je suis plutôt fier d’avancer sur le parking de l’université au volant de ma voiture.
J’ai à peine refermé la portière qu’une silhouette s’élance vers moi. Je ne peux retenir un sourire en reconnaissant Emerson. Ce mec est l’archétype même de tout ce que je voulais fuir en arrivant ici : beau gosse, sportif, fils aîné d’une famille extrêmement riche et puissante (son père, James Tate, est le gouverneur du Rhode Island et descend d’une famille qui a fait fortune dans l’immobilier de luxe et sa mère est une ancienne mannequin). Lorsque j’ai appris ces détails sur son entourage, j’ai tout de suite pensé à Donald Trump et j’ai grimacé. Je déteste ce type. Alors forcément, mon idée était toute faite sur Emerson : en gros, il avait tout pour que je le déteste. Sauf que… on ne peut pas détester Emerson, c’est impossible. Il est marrant, sociable, intelligent, pas arrogant pour un sou. Je ne sais pas trop ce qui l’a poussé à vouloir se lier d’amitié avec moi, peut-être que le baseball a fait son œuvre tout simplement. Le résultat est là : deux ans plus tard, il est devenu l’un de mes plus proches amis. Il a appris à faire avec mon caractère bougon, pas toujours aimable. Il respecte mon besoin ponctuel de solitude. Bon, pas si ponctuel que ça, mais il s’en accommode. Il ne me force jamais à me confier, il attend toujours que cela vienne de moi. Il est le seul sur le campus à savoir ce que j’ai vécu avec mon père par exemple. Lui seul est au courant que mon paternel est en prison.
— Eh bien, eh bien ! Tu m’avais caché à quel point elle était belle ! s’exclame-t-il en s’arrêtant devant le capot de la Challenger.
Je ne doute pas de sa sincérité, mais Emerson roule en Lexus, alors bon, niveau luxe, je crois qu’il n’y a pas photo.
— C’est quel modèle précisément ? se renseigne-t-il en faisant maintenant le tour.
— Une SRT Hellcat WB Redeye de 2019.
Il redresse vivement la tête et fronce les sourcils.
— Ça coûte plus de 60.000$. Je savais pas qu’ils te payaient autant au garage et au diner.
— Elle était accidentée et le moteur fonctionnait plus, expliquais-je. Quand on l’a récupérée, c’était qu’une épave. Il y avait même de la rouille sur le bas de caisse.
— Quel mec sain d’esprit en arriverait là ? commente-t-il, ahuri.
Emerson est un fana de voitures. Il est incollable. J’ai déjà eu l’occasion d’aller chez lui. Sa chambre est un véritable musée. Il possède je ne sais combien de maquettes. Son air atterré n’est donc pas feint. Pour lui, c’est un véritable affront. Et je dois dire que lorsque j’ai découvert l’état dans lequel elle était, ma tête ne valait pas mieux. L’ancien propriétaire l’avait tout simplement laissée à l’abandon au fond de son jardin. En fait, Emerson a raison : quel mec sain d’esprit en arriverait là ?
— Un mec plein aux as qu’en a rien à foutre, proposé-je.
— Va te faire voir, se marre Emerson.
Nous aimons bien nous taquiner. L’argent est souvent notre sujet de prédilection, parce que c’est facile.
— Plus sérieusement. T’as fait un travail monstre alors. Franchement, chapeau.
— C’est vrai qu’elle est belle.
Emerson se place à mon côté et nous contemplons ma petite merveille. La carrosserie indigo offre des nuances qui virent entre le bleu et le violet en fonction de la lumière. Le capot noir mat tranche et apporte un peu plus de caractère, de même que les jantes aluminium peintes de la même couleur.
— Je sais qu’on est attendus pour prendre nos emplois du temps et tout le tralala, mais fais-moi rêver.
Je comprends immédiatement ce qu’il attend de moi : il veut entendre le moteur chanter. Plutôt que de la mettre moi-même en route, je lui lance les clefs qu’il rattrape maladroitement.
— Eh bien, je t’ai connu avec plus de dextérité que ça, me moqué-je.
— Va te faire voir, grogne-t-il.
Il ne se fait pourtant pas prier, pas plus vexé que ça. Il me balance son sac dans les bras et s’installe derrière le volant. Aussitôt, le moteur rugit sous les coups d’accélération d’Emerson. Toutes les têtes se tournent vers nous. Il est vrai que le V8 délivrant plus de huit cent chevaux ne peut pas passer inaperçu. Peu importe, je ris en voyant la tête de mon ami. Après quelques minutes de ronronnement, Emerson sort et ferme la voiture avant de me rendre les clefs. En échange, je lui redonne son sac et nous prenons la direction des bâtiments centraux face aux bibliothèques.
— Quand est-ce que tu t’achètes un petit bijou pareil ? lui demandé-je.
— Quand j’aurai accès à mon argent, soupire-t-il.
Je fronce les sourcils. Je me suis toujours figuré qu’il était plein aux as. Après tout, il ne m’a jamais donné l’impression de manquer d’argent. Quand il a besoin d’un truc, il l’achète.
— Ce sont mes parents qui sont riches, explique-t-il. Alors c’est sûr que je manque de rien. Je vais pas me plaindre, loin de là. Mais j’ai pas de quoi m’acheter un petit bijou pareil comme tu dis. Mes parents ont placé de l’argent pour moi, mais je pourrai toucher à mon fonds fiduciaire qu’à mes vingt-et-un ans. Et j’imagine trop la tête de mon père si la première chose que je m’achète avec cet argent est une voiture dotée d’une grosse cylindrée. La crise cardiaque assurée.
Je n’ai rencontré ses parents que deux fois depuis que nous nous connaissons. Je les ai trouvés froids et distants, un peu hautains. Je n’ai pas la sensation qu’Emerson soit très proche d’eux. Il l’est bien plus de sa sœur, Keya, dont il me parle sans arrêt. Cette dernière reste toutefois un mystère pour moi. Elle est si discrète que je ne l’ai jamais rencontrée, pas même lorsque je suis allé chez eux. Je n’en ai eu l’occasion qu’à deux reprises puisque Emerson préfère largement traîner sur le campus ou bien squatter le studio que je partage avec Jake. D’après Emerson, leur mère l’accapare énormément. Elle aimerait que sa fille suive la même voie qu’elle dans le mannequinat. Je me demande si elle est du même genre qu’Emerson ou si elle ressemble à toutes les nanas qu’on peut rencontrer ici. Mon questionnement prendra rapidement fin puisque Keya doit faire sa rentrée à la fac. Je n’ai pas trop compris quel cursus elle va suivre, les explications d’Emerson m’ont paru un peu hasardeuses.
— Pourquoi tu fais pas comme moi ? Trouve-toi un job.
— Parce que tu crois que j’ai glandé pendant mes vacances ? réplique-t-il, offusqué que je puisse le penser.
Je hausse une épaule. Effectivement, c’est ce que je me suis dit. Parce qu’une fois de plus, je me laisse porter par mes préjugés et imagine que c’est ce que font tous les jeunes issus de familles riches.
— Eh bien, non, figure-toi. Mon père m’a collé en stage les deux mois au capitole. J’ai passé toutes mes journées avec son staff. Comme si le fait d’être en sciences po toute l’année n’était pas suffisant. Il me prive de mes vacances.
— Désolé mec.
— T’y es pour rien. Bon allez, assez parlé de mes parents, balaie Emerson. J’ai hâte de te présenter ma sœur.
— Ouais.
Emerson éclate de rire tout en secouant la tête.
— T’es incorrigible. Elle ne va pas te manger, tu sais.
— Ouais.
Il me balance un coup dans l’estomac. Si Emerson papillonne constamment sur le campus, ce n’est pas mon cas. Je ne suis pas ici pour ça. Mon but ultime c’est une sélection en ligue mineure avant d’intégrer la MBL. Le reste, je m’en fiche royalement. Et puis quand je vois les problèmes qu’Emerson subit quand il tombe sur la mauvaise fille, je les lui laisse volontiers. Le pire c’est sa relation avec Isis. Je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi chaotique. On pourrait s’installer sur un canapé, un saladier de popcorn entre les mains et suivre leurs aventures comme si on était devant la télé. Tout ça me donne envie de fuir à toutes jambes.
— T’es bien le premier mec que je rencontre qui est comme ça. Des tas de filles donneraient tout pour être avec toi, et toi, tu fais ton difficile.
— Arrête tes conneries. Aucune fille ne veut être avec moi. Je te les laisse.
— Tu préfères les gars ? Je suis sûr qu’il y en a plein aussi.
— Fous moi la paix, je te jure. Ma vie amoureuse ne regarde que moi.
— Ouais, bah t’en as pas. Tu baises au moins ?
Je lève les yeux au ciel. Quand je disais que j’avais fini par accepter que la vie pouvait être sympa, c’était sans compter sur mon pote.
— Je me demande pourquoi je suis ami avec moi, marmonné-je.
— Parce que je suis attachant et tu m’adores.
— Non, ça, c’est ce que tu crois.
— Allez ! Tu t’ennuierais sans moi, tout seul dans ton coin.
Là, il n’a pas tort. Mais je ne le lui dirai pas.
— Je te remercie de te soucier de ma vie sexuelle et amoureuse, mais occupe-toi de ton cul, tu veux, je t’en serai reconnaissant.
— Mon cul va très bien, je te remercie. Et crois-moi, je préfèrerais ne pas m’en soucier, mais tu me fais de la peine. C’est pas normal, se lamente-t-il.
— Dixit qui ? Le campus c’est pas une application de rencontres, mec. On est là pour bosser.
Mon ancien moi me foutrait des baffes à n’en pas douter. Quelques années en arrière, jamais je n’aurais tenu discours pareil. Emerson me lance un regard horrifié, comme s’il était vraiment scandalisé par mes propos.
— Mais qui es-tu ? Comment peut-on être amis ? Je me le demande.
— Arrête ton baratin, tu veux ? soupiré-je.
— Non, putain. J’arrête pas. C’est tellement triste.
Je ne rebondis pas et pousse les portes d’University Hall. Il y a déjà un monde fou, chaque étudiant désirant récupérer son emploi du temps, la clef de sa chambre, pour ceux qui résident sur place. Il va falloir prendre notre mal en patience, ce qui va donner tout le temps nécessaire à Emerson de continuer à m’emmerder.
Nous nous insérons dans une file d’attente et il poursuit aussitôt :
— Franchement, je te comprends pas. Être assidu en cours n’est pas incompatible avec le fait de s’amuser.
— Peut-être quand on a des facilités. Ce qui n’est pas mon cas. Je préfère me concentrer sur un truc à la fois. J’ai bien le temps de penser au reste plus tard.
— Mais c’est maintenant qu’il faut en profiter ! persiste-t-il. Eiji… Je t’ai laissé tranquille pendant deux ans, mais cette année, c’est terminé. Si ça se trouve, tu vas être repéré et tu vas m’abandonner, alors je vais pas te lâcher.
J’aimerais qu’il dise vrai. Certains n’ont pas l’occasion d’entamer leur troisième année qu’ils sont déjà sous contrat. Je ne suis peut-être pas aussi doué que je le crois. Il détaille mon visage avec attention comme s’il essayait de deviner à quoi je pense. Ce n’est pas la première fois qu’il tente, mais il n’y arrive jamais.
— T’es un mec génial, tu mériterais de te trouver une copine pour passer du bon temps. Tu t’en sors plus que bien en cours, tu devrais te faire un peu plus confiance.
— Si je m’en sors bien, c’est parce que je bosse. T’imagines pas les efforts que ça représente pour moi. Je ne veux pas tout foirer. Hors de question.
Il soupire, prenant conscience que je ne cèderai rien. Je sais bien que pour certains cela fonctionne très bien. Mais en ce qui me concerne, je n’ai pas besoin de ça. Je ne sais pas si la relation entre mes parents m’a à moitié refroidi, toujours est-il que ça n’aide sûrement pas. Je ne sais pas comment on peut se sentir bien en couple. Comment cela peut-il épanouir l’autre ? Pour moi, c’est plutôt le contraire.
— Très bien, concède Emerson. Si je te lâche la grappe avec les nanas, ou les mecs, se sent-il obligé d’ajouter, promets-moi au moins que tu accepteras de sortir un peu plus souvent avec la bande. Je ne te demande pas de participer à toutes les soirées, mais juste un peu plus.
Il me lance alors son regard de cocker, celui qu’il maîtrise à la perfection. S’il l’a avant tout mis au point pour charmer la gent féminine, il s’est rapidement rendu compte que cela marchait peu importe le sexe de son auditoire. Je lève à nouveau les yeux au ciel et soupire lourdement tandis qu’un grand sourire s’épanouit sur ses lèvres. Il a compris qu’il avait gagné. Pour sceller mon accord tacite, il passe un bras par-dessus mes épaules et m’attire à lui.
— Tu le regretteras pas, m’assure-t-il.
— Bizarrement, ça ne me met pas en confiance.
Il éclate de rire tout en secouant la tête. Peu de temps après, nous sommes rejoints par Jake, Elliot et Steve, trois autres joueurs de baseball. À nous cinq, nous formons un bon groupe, tous venant de ville différente et ayant des origines variées. Je crois que c’est ce que j’aime le plus. Ça fait peut-être un peu cliché, la pluriethnicité entre nous, mais c’est comme ça. Nous nous sommes trouvés et nous ne nous lâchons plus depuis deux ans.
— Hey ! Salut les gars, s’exclame Elliot avec une énergie débordante.
Visiblement, certains ont profité de l’été pour recharger à fond leurs batteries. Même si Elliot est toujours de bonne humeur, aujourd’hui il l’est un peu plus. Il se plaint d’ailleurs souvent que c’est contagieux avec tout le monde sauf moi. Il passe un bras autour de mon cou et ne tarde pas à passer à l’action.
— Alors mon petit rayon de soleil, t’as passé de bonnes vacances ? me tanne-t-il en prenant mon menton entre ses doigts et en écrasant mes joues.
Je grimace pour toute réponse et grogne pour me dégager.
— Certains ne changent pas, se marre Steve.
J’ignore mon ami pour me tourner vers Jake. Il tient un formulaire dans la main, signe qu’il est déjà passé auprès de l’administration. Je lance un coup de menton vers son Saint Graal et l’interroge :
— Dis-moi qu’on est bien toujours ensemble.
Cela ressemble plus à une supplication qu’à une question, j’en ai conscience, mais je n’ai franchement pas envie de me retrouver avec un inconnu ou pire, avec un sportif autre que pratiquant le baseball.
— Tu as l’air terrifié à l’idée d’avoir un footballeur comme coloc’, remarque Jake, avec une pointe d’amusement, me faisant encore mariner.
— Rappelle-toi ce que ça a donné entre Tanner et Alejandro l’année dernière.
Cela pourrait être le début d’une mauvaise blague : Un footballeur et un hockeyeur partagent une chambre… Je vous laisse imaginer la suite. Je ne suis pas trop loin de la vérité en affirmant qu’un meurtre a été évité de justesse. Alors oui, désolé, mais je préfère m’assurer que Jake et moi avons bien été enregistrés en tant que colocataires.
— T’inquiète, mec. On est toujours dans la même piaule.
— Vous savez que sorti de son contexte cet échange peut porter à confusion, intervient Emerson, hyper sérieux.
Je le foudroie du regard. Il m’a l’air suffisamment concerné par ma vie amoureuse, il ne manquerait plus qu’il s’imagine des trucs idiots entre Jake et moi. Que je sois clair : je ne porte absolument aucun jugement sur les orientations sexuelles des gens. Chacun fait comme il veut, pour moi cela n’influence pas leur valeur. Ce que j’exècre ce sont les commérages, les rumeurs lancées pour blesser les autres. Parce qu’encore une fois, la vie privée des autres ne regarde personne qu’eux-mêmes. J’aimerais juste qu’il en prenne conscience et me fiche la paix.
Il s’apprête à rebondir quand son attention est détournée par quelqu’un. Il est dans la foulée rejoint par une brune aux cheveux longs et à la peau mate qui se jette dans ses bras. Je n’ai jamais vu mon ami sourire de façon aussi sincère. Pas même lorsqu’il est avec Isis. J’en déduis immédiatement qu’il doit s’agir de sa sœur. Ce qu’il confirme aussitôt :
— Les gars, je vous présente Keya, ma sœur. Keya, voici Jake, Elliot, Steve et Eiji, dit-il en nous désignant à tour de rôle.
— Salut les gars, j’ai beaucoup entendu parler de vous. Je suis ravie de vous rencontrer.
Si je pensais que le sourire d’Emerson était radieux et que la bonne humeur d’Elliot était contagieuse, je n’avais pas encore rencontré Keya. Les trois autres tombent immédiatement sous son charme et se comportent comme trois guimauves tandis que je l’observe, silencieux.
La vie m’a rendu méfiant, je suis obligé de l’admettre. Je le suis d’autant plus lorsque je fais la connaissance de personnes comme ça. Pour moi, rien ne justifie que l’on puisse être aussi heureux. Cela cache forcément quelque chose. À chaque fois, j’ai toujours vu juste. Emerson cherche à fuir ses parents autoritaires et exigeants et profite un max sur le campus. Elliot masque un manque de confiance en lui à cause de sa taille, un peu plus petite que la nôtre, sous son humour. Steve camoufle sa bisexualité en sautant le plus de filles possibles parce qu’il craint la réaction de son père, pasteur. Et Jake gère très mal la séparation de ses parents qui se sont lancés dans une guerre pour le partage de leur fortune et de leurs biens en se servant de lui et passe tout son temps à la fac, ne rentrant que rarement chez lui. Bref, tout ça pour dire que Keya paraît bien trop lumineuse que ce soit normal. Toutefois, elle est la sœur d’Emerson, alors je ne ferai aucun commentaire.
J’avance dans la file et les laisse papoter. Hors de question que j’attende encore pendant des heures et surtout il me tarde que cette nouvelle année commence réellement.