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Mur de marbre
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numérique, broché et relié

2 premiers chapitres

PROLOGUE

ZACH

 

 

Vendredi 25 juin

 

Chut, soufflé-je doucement à l’oreille de Haven. Si tu fais trop de bruit, je serai obligé de te bâillonner.

– Zach…

Je plaque ma bouche contre la sienne sans aucune délicatesse alors que mes doigts dansent avec assurance tout autour son clitoris érigé par le désir. Haven tremble dans mes bras. Ses cuisses se serrent autour de mes hanches tandis que ses fesses tiennent à peine sur le lavabo ridiculement petit des toilettes de l’avion. La position est loin d’être stable ; je n’ai qu’une main et la force de mon corps contre le sien pour l’empêcher de tomber. Mon pantalon est toujours fermé, mon érection rageuse prisonnière du tissu, mais Haven a déjà à moitié ouvert le premier bouton de ma chemise, goûtant la peau de mon cou, tandis que je la caresse sans relâche. Ma propre excitation est d’une violence rare, j’ai envie de la baiser fort, de la faire jouir comme jamais elle n’a joui, mais chaque chose en son temps ; d’abord, j’ai envie de la rendre dingue.

– Zach, gémit-elle, de nouveau, sa tête calée contre mon épaule.

Je quitte son clitoris et remonte ma main humide devant son visage empourpré.

– Ouvre grand, bébé.

Ses pupilles dilatées plongent dans les miennes, et elle obéit. Je glisse alors délicatement deux doigts contre sa langue, savourant le contact de sa bouche si accueillante.

– Applique-toi, surtout, lui ordonné-je. Voilà, c’est bien.

Je retire mes doigts et rejoins une nouvelle fois les tendres replis de son intimité. Mes phalanges plongent en elle comme dans une motte de beurre chaud et un frisson de plaisir anticipé me parcourt l’échine.

Sa tête cogne contre la carlingue, derrière elle, alors qu’elle lâche malgré elle un nouveau gémissement. Je n’hésite pas lorsque ma bouche se plaque brusquement contre la sienne pour la faire taire. Notre baiser est tout aussi intense que le mouvement de mes doigts, qui la taquinent et la pénètrent sans relâche. Je fais glisser ma langue le long de sa mâchoire, puis explore son cou, pour enfin remonter vers son oreille.

– Attrape la capote dans ma poche arrière, et pendant que je te tiens, tu vas me la mettre, compris ?

– Oui.

– Oui, qui ?

– Oui, Zachary.

– Bien.

J’accompagne ma réponse d’une longue caresse de l’entrée de son corps jusqu’en haut de son pubis et, tandis que Haven obéit encore une fois à mes ordres, je porte mes doigts à ma bouche et goûte son nectar divin.

– Dommage que je ne puisse pas te dévorer toute entière.

Ses yeux s’écarquillent ; je sais que je suis en train de la rendre folle mais je prends mon pied rien qu’en la déstabilisant de la sorte.

En quelques mouvements rapides et efficaces, pour ma plus grande satisfaction, me voilà couvert. Je refuse de perdre une seule seconde. Je la pousse légèrement en arrière, puis remonte ses cuisses de quelques degrés pour m’offrir le meilleur des panoramas, avant d’enfoncer mon membre dur comme de la pierre dans l’incroyable chaleur de son corps. Je ne perds pas une miette du magnifique spectacle qui se déroule sous mes yeux. Sa jupe relevée, sa petite culotte négligemment décalée sur le côté, son chemisier ouvert m’offrant une vue sur ses seins tendus, gonflés, et surtout ma hampe qui disparaît avidement entre ses lèvres, luisantes de son plaisir.

Je suis incapable de retenir le soupir d’extase qui m’échappe. Je sais que nous n’arriverons jamais à nous montrer parfaitement silencieux si je ne fais pas quelque chose maintenant ; je décide donc de fourrer ma langue dans sa bouche alors que nos corps s’embrasent frénétiquement. Mes coups de reins sont saccadés et courts, autant que l’espace exigu nous le permet. J’ai l’impression de me tenir littéralement au septième ciel. Le sexe à dix mille mètres d’altitude, c’est autre chose. On m’a dit un jour que c’était lié à la pressurisation de l’avion, mais là, tout de suite, rien ne pourrait me sembler moins important. Tout ce que je sais, c’est que des vagues d’un plaisir inédit m’assaillent au gré de mes pénétrations, comme une drogue puissante dont je découvrirais les effets divins et exotiques dans les bras de cette femme. Je sens qu’elle n’est pas loin de l’orgasme, elle non plus ; son souffle se fait de plus en plus saccadé, ses jambes m’étreignent davantage à chaque embardée, mais je ne suis pas du genre à attendre un miracle. Tout en continuant mes mouvements du bassin, je redescends un doigt vers son clitoris et, après quelques va-et-vient sur sa chair gonflée et sensible, je la sens se contracter indiciblement autour de mon sexe, me faisant définitivement perdre le fil de la réalité. Haven jouit, ma langue profondément enfouie dans sa gorge. Mes propres mouvements deviennent erratiques. Nos peaux claquent l’une contre l’autre d’une manière délicieusement obscène, et il ne me faut que quelques pénétrations supplémentaires pour jouir à mon tour. Je me déverse dans la capote pendant une petite éternité avant de me figer définitivement, à bout de souffle, la tête qui tourne et les cuisses douloureuses.

– Putain, c’était bon.

***

Quelques minutes plus tard, après avoir réussi, dans un premier temps, à retrouver mes esprits, puis dans un second, par je ne sais quel miracle, à sortir des toilettes de l’avion sans que personne ne nous lance de regards étonnés, je retourne à ma place à côté d’elle en business. Depuis qu’elle a passé la porte des bureaux de Barlow Editions, la maison fondée par Preston, mon meilleur ami, pour y occuper le poste d’assistante personnelle du grand manitou, elle m’intrigue, et c’est peu de le dire.

Haven est une femme sublime, un corps tout en courbes douces, une élégance folle, une peau de bronze satinée et un intense regard chocolat. Je n’ai jamais rien tenté envers elle jusqu’à aujourd’hui, même si l’alternative me démange depuis un bout de temps, mais je n’ose imaginer ce que me ferait subir Preston s’il me voyait amorcer ne serait-ce que l’ébauche d’une approche avec sa magnifique assistante. Seulement, aujourd’hui, Preston n’est pas là, et je ne suis qu’un homme ; il va sans dire que je n’ai pas su résister bien longtemps.

Je me cale dans mon siège et m’apprête à entamer une conversation plus détendue avec elle, mais je m’arrête net. Sa posture est loin, très loin de la suggérer ouverte à une quelconque interaction.

Sa nuque est raide, ses yeux tournés vers le hublot, ses doigts, croisés sur ses jambes, sont crispés eux aussi et des ondes d’une sorte de frustration agressive me percutent de plein fouet.

Est-ce qu’elle regrette ?

Je ne m’attendais pas à autant de froideur après notre partie de jambes en l’air absolument phénoménale. C’était pour le moins sportif, au vu de l’espace insignifiant dont nous disposions, mais tout à fait divin.

Lorsque nous nous sommes aperçus de la présence de l’autre dans l’avion, une sorte d’étincelle s’est allumée entre nous. Un brasier qui a pris naissance au creux de mon ventre et qui s’est d’une façon ou d’une autre répandu jusqu’à elle. Je crois que je ne serais même pas capable d’expliquer le cheminement qui s’est établi entre elle et moi. Un instant, nos pupilles se sont croisées et la seconde suivante, elle me glissait un papier froissé dans la main, me suggérant de la rejoindre dans les toilettes.

Mais j’ai l’impression que désormais, la chandelle a définitivement fini de brûler, et la froide et triste réalité a fermement repris ses droits.

C’est dommage, j’aurais aimé lui proposer un véritable rendez-vous, mais son langage corporel est plutôt clair : ne m’approche pas.

***

Une longue et inconfortable heure et demie plus tard, l’avion atterrit à Logan, l’aéroport de Boston, et Haven s’enfuit tellement vite que je suis à deux doigts de me vexer. Mais je ne suis pas du genre à m’arrêter de vivre lorsqu’une femme ferme définitivement la porte au dialogue juste après avoir joui par mes soins.

Il me faut environ une heure pour rentrer chez moi. Il est tard, près de 23h, et je file immédiatement sous la douche pour éliminer les traces du voyage et de notre étreinte torride.

L’eau brûlante me fait un bien fou. Je me savonne tout en repensant à son goût, à sa chaleur. Cette femme est décidément délicieuse. Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu un orgasme aussi foudroyant. Le souvenir de son corps contre le mien réveille mon érection. Si je veux dormir ce soir, j’ai déjà intérêt à m’occuper de ce petit problème.

Après avoir relâché la pression en invoquant une nouvelle fois le plaisir que j’ai eu à la posséder, je me coule sous mes draps et attends que le sommeil s’installe enfin après une semaine éreintante.

Je viens de passer près de quatre jours à Charlotte, en Caroline du Nord, pour l’ouverture d’un nouveau restaurant. Le moins que l’on puisse dire, c’est que je n’ai pas compté mes heures de travail, et la fatigue a sûrement eu raison de ma combativité devant la froideur de Haven. Je dois concéder que je n’ai pas trop compris ce qu’il s’est passé... après, je n’ai pas non plus essayé de comprendre, il est vrai ; à quoi bon, puisque de toute façon, on ne s’était absolument rien promis, c’était purement physique et apparemment rien de plus. Ma condition de célibataire n’est pas quelque chose qui me pèse, même si je dois bien avouer que depuis que cet enfoiré de Preston a trouvé son âme sœur, je l’envie un peu, surtout quand je me remets à penser à Megan et à toutes ces choses qui ont fait de moi l’homme que je suis.

À plus de quarante ans, la bienséance voudrait que je me sois installé avec femme et enfant(s) au lieu de batifoler comme je le fais. Les gens me jugent, et j’en ai l’habitude ; je ressemble davantage à un flambeur collectionneur de conquêtes qu’à un homme fidèle qui rechercherait la stabilité. Les gens ont toujours tendance à se faire une opinion sur la marchandise sans la connaître, mais ce n’est pas moi qui vais leur montrer qu’ils ont tort. Qu’ils pensent ce qu’ils veulent, cela ne m’importe guère ; ils ne savent pas qui je suis, ce qu’est ma vie, ni ce qu’elle a été. Toutefois la perspective d’être jugé par elle ne m’enchante pas outre mesure. Je dois d’ailleurs bien avouer que j’aurais donné cher pour savoir ce qui se passait dans sa tête après nos ébats impromptus. J’avais vraiment l’intention de lui proposer un rencard en bonne et due forme mais hélas pour moi, les choses se sont passées différemment, et je suis suffisamment crevé pour m’abstenir de me prendre la tête en réfléchissant à tout ça. En réalité, j’aurais pu lui parler, ou du moins essayer, mais la perspective peu agréable de me faire violemment rembarrer a définitivement étouffé dans l’œuf mon envie de le faire. Contrairement à ce que pourraient croire certains, je suis habitué au rejet, et je n’étais pas franchement d’humeur, ce soir. D’ailleurs, si on y réfléchit bien, Haven est sûrement un peu trop jeune pour moi. Un mal pour un bien, en quelque sorte.

C’est avec cette dernière pensée que le sommeil m’attrape par surprise, pour mon plus grand soulagement.​

PARTIE 1

HAVEN

1.

Vendredi 10 septembre

 

La vie distribue les cartes de manière aléatoire. Certains sont plus chanceux que d’autres. Il faut parfois travailler plus fort pour réussir, pour bâtir une existence dont on peut être fier.

Je ne peux pas dire que j’aie eu une enfance malheureuse. Ce n’était pas tous les jours facile, car nous sommes quatre enfants, mais notre foyer était chaleureux. Mes parents m’ont élevée dans l’amour et le respect. Ils nous ont inculqué de nobles valeurs et je leur en suis reconnaissante.

Mes deux grands frères, Sam et Anton, se sont rapidement orientés dans le travail manuel, dans le bâtiment plus précisément, suivant l’exemple de notre père. Ils ont construit à leur tour une famille aimante avec femme et enfants. Je suis arrivée en troisième position, et ensuite, il y a eu ma petite sœur, Rachel. Un petit accident de parcours. Mais mes parents étant très croyants, il n’était pas envisageable de ne pas la garder. Nous avons neuf ans d’écart et elle a fait son entrée à l’université de Columbia à New York, l’année dernière. Mes parents n’ont pas vraiment les moyens de tout assumer, alors je mets un point d’honneur à leur venir en aide.

J’ai eu la chance de suivre des études supérieures. Grâce à elles, j’ai obtenu un poste incroyable dans la maison d’édition de mes rêves, Barlow Editions, et je veux le même genre d’avenir pour ma sœur. Le travail est donc l’unique occupation qui me prend tout mon temps. Je ne compte pas mes heures, ni mon investissement car mon patron, Preston Barlow, est on ne peut plus intransigeant et d’une exigence incroyable, mais mon salaire est confortable et me permet d’aider ma famille.

Je capte à plusieurs reprises mon reflet dans les vitrines des bâtisses qui bordent l’avenue que je remonte, perchée sur mes talons hauts. Le moins que l’on puisse dire est que je n’ai plus rien à voir avec la jeune fille mal dans sa peau, peu à l’aise avec son corps de l’époque du lycée, et même avant cela. J’ai maintenant tout d’une véritable working girl et j’aime l’image que je renvoie. Je suis fière du chemin parcouru. Mes efforts et ma persévérance ont payé et je mène la vie que j’ai toujours voulue. Un travail passionnant qui m’apprend beaucoup. Mon patron est ce qu’il est, mais je ne peux pas lui reprocher son professionnalisme. Preston Barlow est un homme dur, mais je dois bien avouer que depuis qu’il a laissé une femme entrer dans sa vie, il est un peu moins implacable. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il s’est assagi, oh ça, non. La preuve, hier encore, lorsqu’il a remis un de ses auteurs en place alors que ce dernier se permettait certaines exigences totalement ahurissantes. Je ne suis pas sûre que Stephen King lui-même se serait laissé aller à ce genre de demandes. Cela dit, il a la réputation d’être un type plutôt sympa et facile, si j’en crois mon patron. J’ai assisté à un échange absolument épique et je n’ai pu qu’admirer cet homme qui a su bâtir de ses mains et de ses connaissances un véritable empire dans le monde impitoyable de l’édition.

C’est toujours le même sentiment qui s’empare de moi alors que je passe le tourniquet à l’entrée de l’immeuble qui abrite les bureaux de Barlow Editions : fierté et contentement. Il y a des jours meilleurs que d’autres, évidemment, mais je n’échangerais ma place pour rien au monde.

Arrivée à mon étage, je salue Samantha à l’accueil et me dirige vers mon bureau, qui jouxte celui de M. Barlow. Je suis son assistante depuis cinq ans maintenant. Si j’en crois les rumeurs qui circulent dans les locaux, c’est deux fois plus que la dernière en date. Encore une petite satisfaction personnelle. Je dépose mon manteau sur la patère contre le mur, y accroche également mon sac et vais m’installer sur mon fauteuil.

Tous les matins, j’ai le même rituel : je consulte d’abord mes mails pour vérifier si une urgence n’a pas surgi dans la soirée et la nuit, puis je vais préparer du café. Parfois j’arrive avant mon patron, d’autres fois non. Aujourd’hui je suis la première. Rien ne nécessite une action immédiate, je rejoins donc le coin détente et lance la première tournée d’arabica. S’il y a une chose dont j’ai du mal à me passer, c’est bien le café. J’en bois quotidiennement une certaine quantité. Les mauvaises langues diraient une quantité certaine. C’est clairement une nécessité si je veux passer une journée bien concentrée et efficace.

Petit à petit, les différents personnels arrivent à leur poste. Je ne connais pas vraiment grand-monde personnellement. Il m’est arrivé de sortir boire un verre à plusieurs reprises avec Samantha et Jimmy, l’un des graphistes de la boîte, mais c’est tout. Disons que ma place est assez convoitée et beaucoup n’attendent qu’une chose : que je me plante comme les précédentes pour pouvoir postuler à ma suite, même si dans le fond, je ne suis pas sûre que ma place vaille mieux qu’une autre, du moment que l’on travaille pour Preston Barlow.

– Haven ! s’écrie une voix dans mon dos alors que mon regard est perdu au-delà des vitres, dans la contemplation du relief urbain.

Je me retourne vivement, manquant de renverser ma boisson sur ma robe.

– Oui, Monsieur ?

– Dans mon bureau.

Je jauge discrètement Preston alors qu’il se tient sur le seuil de la porte. Costume toujours impeccable, prestance incroyablement envoûtante, charme caractéristique, il a tout de l’homme d’affaires à succès.

– J’arrive, réponds-je sans m’offusquer de son ton autoritaire.

Je m’y suis largement habituée depuis le temps. Si jusqu’à l’année dernière, j’avais un peu plus de mal à composer avec ces ordres lancés de manière presque despotique, je dois dire que depuis qu’Ellie Anderson est entrée dans sa vie, ce trait de caractère s’est largement lissé. Bien entendu, jamais je ne lui ferai la réflexion, car comme on le sait tous, les vieilles habitudes ont la vie dure.

Je lui sers une tasse et rejoins rapidement son bureau, situé légèrement en hauteur. Parfois, je le surprends, accoudé à la rambarde, alors qu’il observe ses employés s’affairer deux mètres plus bas. Je ne crois pas que ce soit une façon de dire à tout le monde je suis le patron, mais plutôt un moyen pour lui de contempler sa réussite, sa plus grande fierté. Preston Barlow est un dirigeant impitoyable, mais pas irrespectueux.

Je frappe un petit coup pour annoncer mon arrivée et entre alors qu’il m’y invite. Je m’approche de son bureau et y dépose la tasse d’où s’échappe une légère fumée avant de prendre place sur l’un des fauteuils qui lui font face. Je tiens mon carnet de notes et mon stylo dans les mains en attendant qu’il ne prenne la parole.

– Comme vous le savez, je souhaite organiser une grande soirée festive à l’approche de Noël.

– Oui, Monsieur.

D’ailleurs, cela m’a énormément surprise quand il a abordé le sujet lors de la réunion de début de semaine. Jamais je n’ai entendu dire qu’il ait déjà organisé pareil événement par le passé. Des happenings pour des sorties de livres, la signature d’auteurs, oui, mais une soirée uniquement dans le but de rassembler son personnel, pour le plaisir, j’en suis très étonnée.

Bien entendu, une fois encore, il n’est pas question de relever ce point.

– Contrairement à d’habitude, c’est Mlle Anderson qui va gérer l’organisation avec son agence.

– Entendu.

– Mais j’ai besoin que vous fassiez quelque chose pour moi.

– Bien sûr.

Il fut un temps où il m’aurait aisément rappelé que j’étais payée pour ça, et que je devais justifier mon salaire en accomplissant les tâches qui m’incombaient, aussi ingrates fussent-elles. Encore quelque chose qui a changé. Je ne sais pas si je vais totalement m’y habituer, en fin de compte. Il n’est pas devenu un homme radicalement différent, mais je suppose que cette mutation demande néanmoins un certain temps d’adaptation. Je suis persuadée qu’il a lui aussi un peu de mal avec tout ça.

– Je veux que vous vous rendiez au restaurant de Zachary Quinn et que vous le convainquiez de s’occuper du buffet.

Je déglutis nerveusement et baisse les yeux sur mon calepin.

Zachary Quinn. Le meilleur ami de Preston. Il est à la tête de trois restaurants prestigieux dans Boston et c’est aussi un véritable play-boy. Enfin, non pas que je le connaisse personnellement, c’est simplement l’image qu’il m’a renvoyée à chaque fois que j’ai pu le croiser. Il vient régulièrement rendre visite à Preston ici, dans les bureaux, mais il est aussi toujours convié aux soirées données par Barlow Editions et j’ai pu le voir à l’œuvre un certain nombre de fois. Toujours accompagné d’une femme différente, ou bien en train de draguer des invitées ou même des auteures.

Je sais quel genre d’homme il est, et pourtant, cela ne m’a pas empêchée de succomber à son charme, à son sourire enjôleur et à son doux regard alors que nous nous sommes retrouvés dans le même avion, il y a deux mois de ça. Je revenais de Charlotte, où Preston m’avait demandé de me rendre pour superviser une séance de dédicaces, et Zach était lui-même de retour d’une prospection pour l’ouverture d’un restaurant là-bas.

Je n’arrive toujours à croire que je fasse maintenant partie du mile high club[1], et d’autant plus en ayant baisé avec Zachary Quinn.

– Haven ? m’interpelle Preston en me sortant de mes songes.

– Oui ?

– Vous vous sentez bien ?

Je hausse un sourcil, étonnée par sa question et sa sollicitude. Encore une chose à laquelle il ne m’a pas habituée.

– Je sais que Zachary n’est pas… disons… en apparence…

– Ne vous en faites pas, c’est oublié.

Mon patron ne fait évidemment pas allusion à la partie de jambes en l’air totalement phénoménale que j’ai vécue avec son meilleur ami et dont il ignore tout, mais à un autre événement qui a eu lieu plus récemment et qui m’a particulièrement agacée, tout en me confortant dans l’idée que Zachary Quinn n’est qu’un homme qui enchaîne les relations purement sexuelles comme on changerait de chaussettes ou de petite culotte. Enfin, de boxer, pour son cas personnel.

Je suis d’autant plus énervée contre moi-même, parce que la scène à laquelle j’ai assisté m’a à la fois blessée et excitée. Je ne savais pas que cela pouvait être possible.

Je lutte contre le rougissement qui me monte aux joues, car repenser à ce moment me donne des chaleurs. J’espère qu’elles seront prises pour de la gêne, plutôt que pour de l’excitation.

Preston est donc en train d’évoquer la fois où j’ai surpris Zachary dans les toilettes de l’hôtel où l’on fêtait le succès du dernier best-seller de la maison d’édition, il y a tout juste deux semaines. Il était bien entendu accompagné et très occupé. Je suis restée figée, à la fois stupéfaite et fascinée par le spectacle. En reprenant conscience et en m’échappant de la pièce, j’avais percuté le torse de mon patron, qui s’était empressé d’aller vérifier ce qui s’y passait, alerté par mon visage pour le moins horrifié. Un moment fort gênant pour tout le monde. Enfin, pas vraiment pour Zachary, qui avait fini par sortir, en apparence pas perturbé le moins du monde. Il avait même été jusqu’à me faire un clin d’œil ! Ahurissant ! Il ne m’en avait pas fallu davantage pour me sentir vraiment blessée d’être si vite oubliée et remplacée (même si nous ne nous étions rien promis, à l’origine) et pour finir de me convaincre qu’il n’était qu’un de ces hommes incapables de la garder dans leur froc et qui ne pensent qu’à la ressortir à la première occasion. C’est dans des moments pareils que prend le pas la partie de moi qui préfère les femmes. Mais ce n’est pas tout à fait le sujet, au moment présent.

– Monsieur, si je peux me permettre, pourquoi voulez-vous que je m’occupe de ce point ? Je serais sûrement plus utile pour aider Mlle Anderson, par exemple.

– Je doute qu’Ellie ait besoin d’aide. Elle a son équipe pour ça. En ce qui concerne Zachary, je n’ai pas réussi à le convaincre de me faire cette faveur. Il me dit être débordé.

– C’est peut-être le cas, l’interromps-je.

Maintenant que je réfléchis un peu plus clairement, cela me surprend que Zach ait refusé de rendre ce service à son meilleur ami. Et si je prête plus attention à ce dernier, j’ai l’impression que Preston est tendu, sa posture semble raide, comme si un poids pesait sur ses épaules. Je me demande s’il n’y aurait pas un problème entre les deux hommes.

Preston me lance un regard sombre et s’avance au-dessus de son bureau, ses mains soignées croisées devant lui, bras en appui sur ses coudes.

– Cela m’est égal. Il me doit bien ça et je veux que vous vous en occupiez. Je n’ai pas le temps de me rendre au restaurant. Il s’est occupé d’un mariage cet été et Ellie a été enchantée par sa prestation. Je veux que ce soit .

Je me demande bien pourquoi il insiste autant. Enfin, je sais que la cuisine du chef Quinn est très appréciée en ville et que ses trois restaurants sont réputés, alors je suppose que le faire venir en cuisine pour notre soirée sera un signe indéniable de succès. Seulement, je n’ai pas spécialement envie de me retrouver face au cuisinier, un peu trop sexy, un peu trop séduisant, un peu trop…

– Haven ?

– Oui, Monsieur. Je vais faire mon possible.

– Non, pas votre possible. Faites-en sorte que ça se réalise. Point. Vous pouvez disposer.

J’acquiesce de la tête sans chercher à discuter plus encore.

– Oh ! Une dernière chose. Vous semblez bien au fait de la réputation de mon ami, vous en avez été témoin, mais j’espère que vous saurez vous tenir à distance, ne pas vous laisser embobiner, ce genre de choses.

– Oui, Monsieur, réponds-je en déglutissant avant de quitter la pièce.

Je laisse échapper un profond soupir en me glissant derrière mon bureau. Bon sang ! S’il savait, Preston ne m’enverrait pas dans la gueule du loup. J’ai déjà été sa proie et je crois que je préférerais oublier ce moment.

Vraiment, Haven ?

Je secoue la tête, avant de la basculer en avant et de la prendre entre mes mains. Zachary Quinn. Cette ligne que Preston m’impose a déjà été franchie. Comment réagirait-il s’il en prenait connaissance ? Sûrement pas très bien. M’en voudrait-il plus que je ne m’en veux moi-même actuellement ? Pas sûre non plus. J’ai eu une faiblesse, un moment de flottement, et je suis tombée dans ses bras, alors qu’il représente absolument tout ce que je fuis chez les hommes.

Avec les femmes, mes relations sont bien différentes. Il y a plus d’émotions, de sensibilité. Zachary est le premier homme avec qui j’ai couché depuis deux ans, c’est pour dire si cela me perturbe encore, même si plusieurs semaines se sont écoulés depuis notre interlude charnel dans les toilettes de l’avion qui nous ramenait à Boston. Et maintenant, Preston veut que je retourne le voir ? Seigneur ! Peut-être est-ce le moyen que le cosmos a trouvé pour me punir !

Être bisexuelle n’a pas toujours été chose évidente à vivre pour moi. Au début, je l’ai caché, car je n’étais véritablement sûre de rien. Et puis, au fil de mes expériences, quand cela s’est confirmé, je ne pouvais pas le garder pour moi. Je me suis confiée à ma famille et je me suis rendu compte que j’aurais dû le faire dès le départ, parce qu’elle a été d’un soutien infaillible. Ma mère a fait tout son possible pour m’apaiser, elle m’a assuré que je n’avais pas à m’en vouloir, que Dieu m’avait faite telle que j’étais et que personne ne me jugerait.

Malgré tout, cela a effectivement été le cas pour quelques personnes de la paroisse que nous fréquentons, mais nous n’avons bien sûr pas été le crier sur tous les toits et la confession m’a soulagée d’un poids énorme. Mais dans la vie au quotidien, c’est parfois lourd, entre ceux qui pensent que ce n’est qu’une phase qui va me passer, que ce n’est qu’un moyen de m’amuser, et ceux qui s’imaginent qu’à cause de ma bisexualité j’ai envie de sauter tout le monde, n’importe quand. Ils ont sûrement du mal à comprendre que je reste juste une femme, avec des goûts précis et des attentes qui diffèrent selon le sexe de mes partenaires.

Je suis pourtant sûre de moi, mais c’est loin d’être évident. Faire face à cette découverte, et la gérer au quotidien, n’a pas été facile tous les jours, quand j’étais plus jeune. Je devais déjà faire avec les remarques blessantes concernant mon métissage, je n’avais pas franchement besoin d’ajouter un item supplémentaire sur la liste. Mon père est blanc et ma mère afro-américaine. Je suis très fière de mes origines, jamais je ne les dénigrerai, mais j’en paie parfois le prix, obligée à vivre avec la bêtise humaine jour après jour, et ça, c’est autre chose.

 

[1] The Mile High Club, le club de ceux qui ont fait l'amour à 10.000 mètres d'altitude dans les toilettes ou la cabine d'un avion.

À suivre…

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