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numérique et broché

5 premiers chapitres

“I’ve found a reason for me to change who I used to be, a reason to start over new and the reason is you.”

Hoobastank – The Reason

1 - Ashley

Quand j’ai trouvé ce travail ici, au diner, j’étais folle de bonheur. Jusque-là, je n’avais fait que cumuler des petits boulots et obtenir quelque chose de solide et durable m’a comblée de joie. Je n’aurais pu trouver mieux : face à Ocean Beach, entre Lincoln Park et Golden Gate Park. Je détenais enfin mon petit paradis. J’ai tout de suite été formidablement bien accueillie par Rose et Lacey, deux de mes collègues qui sont rapidement devenues des amies et confidentes.

Seulement, une ombre au tableau s’est rapidement manifestée. Bien entendu ! Est-ce que j’ai la poisse ? Je n’en sais rien, mais toujours est-il que je dois faire avec, et ce, chaque matin où je travaille. J’essaie de rester impassible, je tiens à mon job ! Mais c’est dur.

Je souffle sans discrétion, une grimace sur le visage, en me détournant de l’entrée.

– Qu’est-ce qu’il y a ? demande Rose comme si elle ignorait la réponse.

Je la fusille du regard et soupire de plus belle en croisant les bras sous ma poitrine.

– Qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour que tu acceptes qu’on échange de zone ?

– Rien ma belle. Ne le laisse pas te miner le moral.

– Facile à dire.

– Je suis sûre que tu exagères.

– Absolument pas ! m’offusqué-je. Depuis un an que je travaille ici, il ne m’a pas dit une seule fois bonjour. Le premier jour où je l’ai servi, il est resté bloqué en me regardant comme si j’étais une demeurée, il a demandé où était Marjorie. Et depuis cet instant, il se montre horrible envers moi. Jamais rien n’est bien avec lui.

Lui étant ce client, réglé comme une horloge, la fameuse ombre. Tous les matins, il débarque au diner pour prendre son petit-déjeuner. Rose, qui pense que j’exagère, travaille ici depuis bien plus longtemps que moi et m’a confié que c’était un habitué, elle le connaît depuis des années.

En gros, elle l’a vu grandir parce qu’il vient ici depuis toujours et moi je prends la mouche. Enfin, je n’avais pas forcément besoin de Rose pour m’apprendre tout ça, je l’ai rapidement découvert et appris au fil du temps.

Il est là tous les jours, à la même heure. Ponctuellement, il est rejoint par deux hommes bien plus gentils et classes que lui. Rose m’a dit qu’ils étaient frères. Visiblement, la gentillesse et l’amabilité n’ont pas été génétiquement distribuées de manière égale à la naissance, c’est bien dommage.

J’ai le sentiment que Rose en sait énormément sur eux, mais elle ne peut ni ne veut m’en dire trop, parce que d’une part, cela ne me regarde pas et surtout parce que d’autre part, ce n’est pas son genre de raconter sur les autres. Et pourtant, Rose est celle à qui on confie le plus de choses. Elle est comme ça, elle inspire la confiance et pousse à la confession.

J’ai commencé à bosser dans ce diner quand l’une des serveuses a pris un congé parental. J’ai rapidement été adoptée par Rose et mes autres collègues, seul le gérant, Peter, reste sur ses réserves, mais il est comme ça avec tout le monde.

J’aime beaucoup mon travail ici, car les gens sont adorables et l’ambiance agréable, seul point perturbant et énervant : ce client qui mine mon moral à chaque fois. Heureusement que le comportement des autres vient racheter le sien. Je fais un effort monumental pour ne pas répliquer dès qu’il s’adresse à moi parce que j’ai besoin de ce travail, mais bon sang que c’est dur.

– Allez Ashley, plaque ton plus beau sourire sur tes lèvres et va lui montrer que ça ne change rien pour toi.

Je lui tire la langue avant d’attraper un menu et de me diriger vers sa table.

– Bonjour ! m’exclamé-je faussement joyeuse.

Il m’adresse à peine un regard, ignore le menu que je lui tends et s’enfonce sur la banquette.

– Comme d’habitude, me dit-il de sa voix bourrue.

– Très bien.

Je lève les yeux au plafond.

Bonjour Saint Aimable ! Sûrement pas son second prénom.

C’est la même chose tous les matins. Je me demande ce que je lui ai fait. Parce qu’au début, j’ai cru qu’il était comme ça tout simplement, mais je me suis rapidement rendu compte qu’il n’agissait pas de la même façon envers Rose ou même les autres filles. Je l’ai même vu sourire une fois à quelque chose que Rose lui a dit en passant. Je ne sais pas si rire est dans ses cordes, mais je sais ce que j’ai vu ce jour-là.

S’il n’offre de l’amabilité qu’aux personnes qu’il connaît depuis un certain temps, je me demande combien d’années cela représente, si j’y aurais droit un jour. Sinon, cela doit être physique, c’est tout. J’essaie de me faire une raison, mais dans la mesure où il vient tous les jours, c’est compliqué. Et puis, pour être honnête, je ne vois pas trop ce qui pourrait me valoir une animosité non feinte. Je suis quelqu’un d’avenant, de souriant, de sympathique. J’ai plutôt le contact facile, il doit seulement être l’exception qui confirme la règle.

Je me dirige vers la cuisine et demande un menu complet à Dario. C’est plutôt calme à cet instant alors je reste un peu à l’écart et observe mon client désagréable.

J’ai appris, par Rose toujours, qu’il s’appelle Blake, et c’est tout ce que je sais. Ça et aussi qu’il pratique le surf, car les matins où il en fait, il laisse sa planche contre le mur de l’entrée. Il a bien le physique d’un surfeur d’ailleurs. Il semble assez athlétique, pour le reste… Ça laisse un peu à désirer, des cheveux sans forme, ni longs ni courts, un peu fous, bruns avec des reflets or dus au soleil, assez jolie couleur, je trouve. Une barbe qui manque sérieusement d’entretien. Niveau vestimentaire, il me donne l’impression d’être un étudiant fauché, même s’il semble un peu vieux pour être encore à la fac. Tee-shirt basique uni avec des logos bizarres ou des expressions toutes faites, short de surf la plupart du temps et tongs. Et bien entendu la conversation d’un mollusque. Le combo parfait pour faire craquer la gente féminine. Je plains sa copine s’il en a trouvé une assez conciliante pour le supporter.

Dario fait tinter la petite sonnette pour me signifier que l’assiette est prête. Je m’en empare, attrape la cafetière et me dirige d’un pas sûr vers Blake. Il semble passionné par ce qui se passe dans la rue, les yeux perdus. Je pose délicatement l’assiette devant lui, tire la tasse plus près et la remplis de café. Cela attire son attention. Il passe son plat en revue, sûrement dans l’intention de trouver quelque chose à redire, mais il ne fait aucun commentaire. Il prend la tasse et boit une gorgée. La grimace ne tarde pas à venir.

– Il est froid, dit-il en me foudroyant du regard. Si c’est ce que j’avais voulu, j’aurais commandé un frappé.

Oh ! Dommage qu’on n’en serve pas ! Je me serais fait une joie de te la renverser sur la tête ! Cela t’aurait rafraîchi, connard !

Je porte la main à la cafetière pour vérifier ses dires et secoue doucement la tête.

– La cafetière est parfaitement chaude, le contredis-je.

– Eh bien, il est trop froid pour moi alors, dit-il en haussant le ton, avant d’abattre brutalement la tasse sur la table.

Des gouttes de café s’échappent et retombent sur sa main et la table. Il prend une serviette en papier pour s’essuyer et me foudroie du regard comme si j’étais responsable.

– Rapportez m’en un autre, exige-t-il.

Sans me laisser démonter, je récupère sa tasse et repars au comptoir. Je repose la cafetière et vais en cuisine. Je verse le café dans une casserole et la pose sur le feu. Quand des petites bulles commencent à apparaître à la surface, je la retire et verse dans une tasse propre, tout en souriant. Le truc est bouillant, il ne va toujours pas être content. Tant pis pour lui. Il n’aura qu’à ajouter de l’eau. Je pose sans délicatesse la tasse devant lui et patiente les poings sur les hanches.

– Putain mais il est brûlant ! grogne-t-il après une gorgée.

Je me penche pour récupérer la carafe d’eau et l’approche.

– Je n’ai aucune envie de boire un café dilué.

– Vous n’êtes jamais content, pourquoi aujourd’hui serait différent ? balancé-je, excédée.

– Vous feriez votre travail correctement, je n’aurais pas à me plaindre.

Non mais quel trou du cul ce mec ! Incroyable !

Je lève les bras en l’air histoire de mettre un peu de poids à mon incompréhension.

– Je peux savoir ce que je vous ai fait à la fin ?! J’en ai ma claque ! marmonné-je avant de tourner les talons.

– Vous feriez mieux de faire attention à votre façon de parler aux clients, menace-t-il dans mon dos.

Je stoppe net et pivote pour lui faire face à nouveau.

Il vient de me menacer ou je rêve ?

– Et votre façon de parler aux serveuses, on en parle ? dis-je doucement en pinçant les lèvres.

Mes yeux envoient sûrement des éclairs, mais j’en ai marre ! Je ne vais pas rester sans réagir !

– Personne ne s’est jamais plaint.

Je me mets à ricaner peu gracieusement. Il ne manque pas de toupet, dans la mesure où je suis la seule avec qui il se permet ce genre d’attitude, cela n’a rien d’étonnant.

– La prochaine fois, je demanderai un supplément carottes à Dario pour vous. Il paraît que ça rend aimable !

– Tout va bien ? demande Rose en arrivant pour se mettre entre nous.

– Visiblement ma façon de travailler ne lui convient pas, alors je suggère qu’il fasse appel à toi si besoin. Le café est trop chaud ou trop froid, il ne sait pas trop.

Je les laisse tous les deux et repars m’occuper des autres clients.

Dans un coin, j’observe Rose encaisser Blake et je remarque le petit sourire qu’il lui fait en partant. Mais bon sang, j’aimerais savoir pourquoi il se comporte de cette façon envers moi et seulement envers moi. Je suis sûre qu’il a un faible pour Rose, c’est obligé.

– Je sais qu’il se montre dur avec toi, mais tu devrais faire attention à ce que tu fais si tu ne veux pas avoir d’ennuis avec Peter, me conseille Rose.

– Je n’ai fait que me défendre. Pourquoi il s’entête à choisir ma section, si je ne lui conviens pas ?

– Ce sont ses habitudes Ashley. Depuis toujours il s’assoit là. Il ne changera pas.

– Ouais.

– Essaie juste de prendre sur toi.

– Ce n’est pas déjà ce que je fais ?!

– Ashley…

– C’est bon.

Rose n’insiste pas et on retourne chacune à nos occupations.

***

Je suis contente de quitter le travail en ce lundi après-midi ensoleillé. Mes semaines sont plutôt chargées alors j’apprécie d’autant plus mes lundis, mardis et mercredis, car je ne travaille pas le soir. Cela me permet de flâner un peu, me promener, profiter de ma belle ville de San Francisco, de prendre un peu de temps pour moi tout simplement.

Du lundi au jeudi en journée, je bosse donc au diner, les jeudis, vendredis et samedis soir je travaille, en plus, dans un club de divertissement pour adultes, comme on dit.

Rassure-toi comme tu veux, ma fille.

Je ne danse pas, je suis seulement serveuse, mais la tenue que je dois porter n’en est pas moins sexy. Parfois, j’accepte en plus des petits jobs de baby-sitter, et de temps en temps, je promène aussi des chiens.

J’habite dans le sud-est de San Francisco, à Hunters Point. J’ai sciemment choisi de bosser dans des quartiers éloignés parce que je ne veux pas prendre le risque de croiser des gens que je connais au club de strip-tease et au diner. Je tiens à une certaine tranquillité loin des responsabilités. Je cumule un certain nombre d’emplois parce que ma mère est gravement malade et que sans assurance pour couvrir les frais médicaux, se procurer des médicaments est un vrai luxe.

Alors je fais ce qu’il faut pour qu’on s’en sorte. J’ai arrêté l’école immédiatement après le bac, j’ai tout de suite trouvé un emploi et je fais du mieux que je peux pour qu’on vive décemment. Notre quartier n’est pas le plus reluisant de la ville, mais on s’y plaît. Nous vivons tous les deux avec maman dans un petit appartement sans prétention, mais avec tout le confort nécessaire. Maman est femme de ménage dans un hôtel, mais à mi-temps seulement, donc ce n’est pas suffisant pour subvenir à nos besoins.

Cela ne me dérange pas de devoir donner un peu plus de ma personne, c’est ma mère, elle n’a pas choisi d’en arriver là, alors je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’on ait une vie agréable. C’est sûr que ce n’est pas une situation que les jeunes de mon âge choisiraient, mais quand on n’a pas le choix, on fait avec ce qu’on a.

Vu l’éloignement de mon appartement par rapport à mes lieux de travail, je me déplace à vélo. Pas vraiment les moyens de prendre le métro et en ce qui concerne un cable car c’est un peu la même chose, ils ne descendent pas jusqu’à Hunters Point. Pour mon emploi nocturne, généralement, maman est rentrée du travail quand je pars, donc je prends la voiture, sinon je peux compter sur une collègue qui habite Little Hollywood, on s’arrange toutes les deux.

Je traîne encore un peu sur la plage avant de me décider à rentrer. La vue sur l’océan n’a rien à voir avec celle de la baie près de mon appartement. Les eaux n’ont pas la même couleur, l’air n’a pas la même odeur. Heureusement que le climat est assez clément, cela serait compliqué pour moi en vélo sinon. Avec deux heures de trajet aller-retour, je n’ai pas besoin d’aller à la salle de sport, j’ai suffisamment ma dose tous les jours. Peut-être un peu trop. Parfois, je me sens vraiment naze, c’est pour ça que je ne fais pas grand-chose les soirs où je ne bosse pas. Pas assez d’énergie.

Il m’arrive de me dire que j’aimerais bien avoir ma voiture personnelle, cela me ferait gagner du temps et des forces, mais c’est déjà assez compliqué d’en entretenir une seule, je ne vois pas trop comment je ferais avec une seconde. De temps en temps, maman parvient à rassembler son temps de travail sur quelques jours seulement, de cette manière, je peux prendre la voiture, mais le plus souvent, je dois compter sur mes jambes pour m’emmener au boulot.

En entrant à l’appartement, je cours presque sous la douche pour retirer les odeurs de nourriture de mes cheveux, ensuite, je grignote rapidement un truc avant de m’effondrer dans le canapé. J’ai toujours l’intention de regarder quelque chose d’intéressant et d’instructif à la télé, mais fréquemment, je finis par m’assoupir. C’est maman qui me réveille en rentrant vers dix-neuf heures.

– Bonjour ma chérie, sourit-elle en se penchant pour m’embrasser.

– Salut maman. Tu vas bien ? Ça n’a pas été trop dur le boulot ?

– Non, tout s’est bien passé. Tu as dîné ?

– Non, je t’attendais.

– Très bien, je vais préparer quelque chose.

– Laisse, je vais le faire. Tu peux prendre la salle de bains pendant ce temps.

– Tu es sûre ?

– Oui, je m’occupe du repas.

Maman caresse tendrement ma joue avant de me laisser. Je rejoins notre petite cuisine et ouvre le frigo. Les étagères presque vides me font mal aux yeux, me rappelant douloureusement qu’il faut que j’aille faire les courses demain. Je fais rapidement l’inventaire de ce qu’il me reste et constate qu’il y a juste assez pour préparer une omelette et une petite salade de tomates. Ça ira bien pour un soir. Je m’attaque au plat et termine de mettre la table quand maman entre dans la pièce.

– Et toi ta journée ? se renseigne-t-elle en prenant place face à moi.

– Ça a été, jusqu’à l’arrivée de Blake.

– Oh ! Encore et toujours ce Blake. Qu’est-ce qui n’allait pas cette fois ?

– Le café était d’abord trop froid et ensuite trop chaud.

Cela fait doucement rire maman, mais moi, je suis loin d’avoir le sourire.

– Il suffit juste de l’ignorer Ashley.

– C’est ce que je m’efforce de faire depuis un an maman, mais il prend un malin plaisir à critiquer tout et n’importe quoi. Aujourd’hui, j’en ai eu plus qu’assez.

– Qu’est-ce que tu as fait ?

– Je lui ai dit ce que je pense. Bien entendu, c’est moi la fautive.

– Ma chérie…

Je sais qu’elle ne le fait pas exprès, mais je ne manque pas le reproche dans le son de sa voix.

– Non, c’est bon. Je sais quelle est ma place, marmonné-je.

Maman n’ajoute rien, je sais bien ce qu’elle pense. Ni elle ni moi n’avons pas fait de grandes études. Mon père est mort brutalement alors qu’elle était enceinte, elle a fait de son mieux pour qu’on s’en sorte. C’est sa maladie qui rend les choses plus compliquées.

Alors une fois que j’ai eu fini le lycée, je me suis mise à travailler immédiatement. Déjà avant ça, pendant les vacances scolaires, je ne restais jamais à rien faire. Cela s’est donc fait tout naturellement après le bac. J’ai testé un peu tout, je ne rechigne pas à la tâche, alors je trouve facilement. Ce n’est que depuis un an, avec mon travail au diner, que j’ai pu permettre à maman de diminuer son temps de travail. Les fins de mois sont difficiles, mais on s’en sort.

Elle me dit toujours que la clé pour garder un emploi est de savoir rester à sa place. Les gens hauts placés peuvent se permettre de critiquer, de se plaindre, mais pas ceux qui sont en bas de l’échelle, comme maman et moi. Elle n’a pas tort, je suis sûre qu’il n’en faudrait pas beaucoup à Peter pour me renvoyer, si Blake allait se plaindre de moi.

Je ne dis pas que je n’aspire pas à quelque chose d’un peu plus valorisant, mais je sais que ma situation pourrait être pire alors j’apprends à vivre avec ce que j’ai. Je suis pertinemment consciente qu’avec le peu de bagages en ma possession, je peux difficilement prétendre à un travail hyper bien payé, donc je fais en sorte de vivre avec mes moyens et mes compétences.

Je laisse le soin à maman de débarrasser la table et on s’installe ensuite devant la télé. Elle choisit un DVD et lance le film. On l’a déjà vu des dizaines de fois pour ne pas dire centaines alors je n’ai pas mauvaise conscience en m’endormant devant même pas vingt minutes après.

2 - Blake

 

Assis sur ma planche de surf, je laisse les vagues m’emporter et me ramener. Les yeux rivés sur l’horizon, mon esprit divague, imaginant les paysages au-delà des mers, les îles tropicales sur le chemin vers l’autre continent. Tellement de choses qu’on s’était dit qu’on ferait et qu’on ne pourra pas réaliser.

La vie, tellement précieuse et pourtant si éphémère. Nous ne sommes rien au bout du compte.

À cette heure-ci, pas grand monde sur la plage et dans l’eau à mes côtés, quelques surfeurs aguerris seulement. Ocean Beach est plus réputée pour son spot de surf que pour la baignade. Le vent y souffle fort et la mer se déchaîne. La plage est prise d’assaut par ceux qui aiment jouer les carpettes, mais il faut un peu de courage pour se baigner dans les eaux du Pacifique.

Il s’agit de la plage la plus vaste de tout San Francisco, alors bien entendu il y a suffisamment de place pour tout le monde. Il y a aussi pas mal de circuits aménagés pour les piétons. Le coin est sympa, apaisant, au sud de Presidio, pas loin du Golden Gate Park entre les districts de Richmond et Sunset.

C’est devenu mon rituel depuis presque deux ans. J’avais l’habitude de surfer depuis bien longtemps, initié par mon père, mais que cela devienne quotidien et réglé comme du papier à musique, c’est récent. Ensuite, je rejoins le diner pour mon petit-déjeuner. Il y a parfois quelques variantes, footing au lieu du surf, suivant mon humeur, mais je me laisse rarement distraire de ma routine.

J’observe les mouvements devant moi, quand je guette enfin quelque chose qui en vaut la peine, je m’élance.

La sensation, quand je vais à la rencontre de la vague, m’électrise. Je laisse le rouleau passer au-dessus de moi et je ressors en bout de ligne. Je reprends ma respiration, puis nage tranquillement, allongé sur le ventre sur ma planche pour rejoindre la plage. Une fois à ma voiture, je prends le temps de retirer ma combinaison, de m’essuyer et d’enfiler des vêtements secs avant de rejoindre le diner à pieds, ma planche sous le bras. Je pourrais la laisser sur le toit de ma voiture, ce que j’avais pour habitude de faire jusqu’à ce qu’un crétin me la vole, alors maintenant, je l’emmène avec moi, c’est plus sûr.

Je prends une profonde inspiration avant d’entrer, elle va être là comme tous les matins et cela me noue l’estomac. Aujourd’hui, Jeremy et Timothy doivent me rejoindre, alors je sais que la pression sera un peu moindre, mais c’est toujours une épreuve pour moi. Je sais qu’elle ne comprend pas pourquoi et je ne vais pas aller lui expliquer, on ne se connaît pas, mais chaque fois que je la vois, c’est plus fort que moi. J’arrive à me contenir un peu plus quand mes frères sont là, mais le reste du temps, je réagis mal.

Je pousse la porte et pose la planche à gauche contre le mur. Rose me sourit en me voyant entrer et tourne la tête vers ma table habituelle, déjà occupée par mes frères. Je la salue d’un petit coup de tête et vais les rejoindre.

– Ah ! Blake. Ça va ? dit Tim en se levant pour me prendre dans ses bras.

– Ça va.

– L’océan était comment ce matin ? demande Jeremy en prenant sa place.

– Assez calme.

– On t’a attendu.

– Merci.

On reprend place et ils regardent tous les deux la carte. Je ne sais pas pourquoi ils la lisent, ils la connaissent aussi bien que moi. Même s’ils ne viennent pas déjeuner ici tous les jours, ils savent qu’elle n’évolue pas vraiment. Enfin, si ça leur fait plaisir…

– Bonjour.

– Bonjour, répondent mes deux frères alors qu’ils l’ont sûrement déjà vue.

Je lève les yeux vers Ashley, mais je ne réponds rien. Je n’ai jamais pu m’y résoudre, alors maintenant… Je remarque que son sourcil droit se lève presque imperceptiblement, probablement sa façon à elle de me dire qu’elle voit bien que je ne lui ai pas dit bonjour.

Je sais qu’elle s’appelle Ashley à cause du badge qu’elle porte sur son uniforme de travail, juste au-dessus de sa poitrine, elle ne s’est jamais vraiment présentée à moi, probablement parce que je ne lui en ai pas laissé le temps. J’étais tellement stupéfait de la découvrir, je l’ai agressée dès son premier jour. Je l’ai ensuite observée avec les autres clients, quand ils sont nouveaux, elle se présente à eux, elle leur sourit, elle est agréable. Je n’ai pas le droit à tout ça et je sais que c’est de ma faute, je ne le mérite pas.

– Vous avez choisi ? demande-t-elle.

Je laisse mes frères passer commande et la fixe méchamment du regard.

– Comme d’hab…

– D’habitude, oui, je sais, sourit-elle faussement, l’air mauvais.

Jusqu’à maintenant, je n’attirais qu’une indifférence mesurée, mais de la colère, c’est nouveau. Le regard de Timothy passe rapidement d’elle à moi avant de la suivre alors qu’elle tourne les talons pour rejoindre la cuisine.

– Qu’est-ce qui se passe ?

– Rien, marmonné-je, l’air bourru.

– Si tu le dis.

– Comment tu te sens ? demande Jeremy, qui n’a rien relevé.

– Ça va, dis-je moyennement convaincant. Comment ça se passe dans l’entreprise ?

– Ça se passe bien. Le dernier bilan est excellent. On a embauché un nouveau commercial pour la branche International, il a réussi à nous dégoter deux nouveaux marchés en même pas quatre mois, il est vraiment doué.

– Tant mieux.

– On pourra te passer une copie du dossier si tu veux.

– Ouais peut-être. Je vous fais confiance.

– Tu viens au repas dimanche dans deux semaines chez les parents ?

– Je ne voulais pas et puis maman m’a dit qu’elle me renierait si je ne venais pas alors oui, je serai là.

Les deux se mettent à rire franchement devant mon air peu aimable.

Timothy et Jeremy ont un an de moins que moi et sont jumeaux. Jeremy est diplômé de droit et s’est spécialisé en propriété intellectuelle. Il gère tout ce qui est en rapport aux poses de brevet pour la société BTJ. Quant à Timothy, il a fait des études d’ingénieur avant de faire un doctorat en robotique. Il est donc à la tête de ce département à BTJ également.

BTJ s’est lentement mais sûrement imposé sur le marché des nouvelles technologies et s’est ouvert à d’autres domaines comme les énergies renouvelables, mais aussi le médical en partenariat avec la défense pour la mise au point de prothèses robotiques. Dans une région pionnière comme San Francisco, la voie était toute tracée.

Penser à BTJ me donne mal au cœur et à la tête. Et ce n’est pas la vue d’Ashley qui revient les mains chargées de nos assiettes qui va arranger ça.

– Et voilà, sourit-elle en servant d’abord mes frères, avant de déposer mon assiette habituelle devant moi. Je reviens avec le café.

En quelques secondes à peine, la revoilà et je la regarde remplir copieusement nos tasses. Cependant au lieu de s’en aller, elle reste plantée devant la table, les yeux fixés sur ma tasse.

– Un problème ? demande Timothy en la regardant.

Elle hausse une épaule et j’attends la pique.

– Je ne sais pas. Trop chaud ou trop froid, suspense ! lâche-t-elle sarcastique, une lueur dans les yeux en me fixant.

Timothy se met à nouveau à faire du ping-pong entre elle et moi.

– C’est bon, grogné-je.

Je m’attends à ce qu’elle nous laisse, mais elle me fixe avec insistance. Quand son regard descend sur mon torse et qu’un sourire se dessine sur ses lèvres, je ne tiens plus. J’ai comme la sensation désagréable qu’elle se moque de moi.

– Je peux savoir ce qu’il y a ? demandé-je en serrant les mâchoires.

– Vos tee-shirts ? C’est vous qui les faites ? Vous en avez un pour chaque jour ? Parce que si c’était seulement aujourd’hui, je le saurais.

Je baisse à mon tour les yeux sur mon vêtement pour déchiffrer l’inscription. Forcément, il a fallu que je choisisse celui-là.

AUJOURD'HUI JE SUIS DE MAUVAISE HUMEUR

 

Tel est le flocage du jour.

Elle a un certain aplomb, je ne peux pas lui retirer ça. Timothy et Jeremy assistent à notre échange avec une curiosité non dissimulée. Ma mâchoire se crispe, je retiens un sourire, mais choisis de la pousser un peu plus à la place.

– Je pourrais sûrement en faire faire un pour vous, concernant vos talents de serveuse.

– Oh oui ! J’adorerais ça. Rose bonbon, vous avez ?

Je cligne rapidement des yeux. Décidément, elle réagit de manière totalement inattendue ! Elle me surprend. Elle semble fière d’elle, si j’en juge par l’esquisse amusée sur ses lèvres. Je me contente de grimacer alors qu’elle ne mord pas à l’hameçon.

Elle finit par pouffer de manière hautaine avant de nous laisser. La faim m’a déserté. Je regarde, écœuré, l’assiette richement fournie, sentant toujours le poids du regard de Timothy sur moi.

– Tu vas me dire ce qui se passe à la fin ! s’énerve-t-il.

Cela a pour effet de stopper la fourchette devant la bouche de Jeremy alors qu’il s’apprête à manger. Il cligne rapidement des yeux, mais préfère toutefois ne pas intervenir. Des deux, Jeremy est celui qui se mouille le moins dans nos histoires fraternelles.

– Fous-moi la paix Tim et mange, lui ordonné-je sèchement en attaquant mon plat sans grande motivation.

Je viens juste de jeter un gros blanc sur notre table. Tout ça à cause d’elle. Pourquoi se met-elle subitement à répliquer ? Elle n’a jamais réagi, je pensais qu’elle s’en moquait, visiblement, je me trompais.

– Tu sais quoi ? marmonne Timothy, la bouche pleine, tu n’es qu’un connard. On te supporte parce qu’on sait ce qui s’est passé, mais cette pauvre serveuse n’a rien demandé.

– Ça n’a rien à voir avec elle.

– Ah ouais ? Elle est au courant ?

– De quoi vous parlez bordel ? intervient Jeremy.

– Mais bon sang, t’es aveugle et sourd ou quoi ? renchérit Tim.

– À quel propos ?

– Tous les deux, vous êtes désespérants, soupire Tim.

– Si c’est pour me prendre la tête, tu n’es pas obligé de te déplacer pour petit-déjeuner avec moi, l’engueulé-je.

– Blake, je t’en prie.

Je n’ajoute rien et finis mon assiette. À la fin, je propose que Tim paie la note, Jeremy ne me contredit pas. Il me suit alors que je vais récupérer ma planche et on attend Tim à l’extérieur.

– Blake, commence-t-il, les mains dans les poches de son pantalon de costume, on se fait du souci pour toi.

– Je vais bien, dis-je sèchement.

– Tu n’en as pas l’air. Ton attitude, le ton que tu emploies pour parler.

– Je croyais que tu étais sourd et aveugle, grimacé-je.

– Ce n’est pas parce que je ne fais pas de critiques comme Tim que ça veut dire que je ne remarque rien.

Je soupire franchement et détourne la tête vers l’océan.

– Mon frère me manque, lâche-t-il brusquement en me faisant me retourner. Tu ne veux peut-être pas l’entendre, mais tu me manques. Sans toi, rien n’est pareil. Je sais que tu es là, mais tu es ailleurs en même temps et je me demande quand tu finiras par nous revenir vraiment.

– J’y travaille Jerem’, j’y travaille.

– On est là pour toi, tu sais ça.

– Ouais je sais.

On est interrompus par Timothy qui sort du diner.

Les deux beaux gosses de BTJ. Heureusement qu’ils n’ont pas qu’un physique, sinon la boîte aurait coulé, il y a bien longtemps. Il y a quelques temps encore, j’étais comme eux, plein de rêves et d’ambition, de fierté aussi, mais une tragédie a suffi pour tout effacer, pour tout ruiner.

– Merci d’être venus, dis-je, histoire de leur montrer que j’apprécie.

Timothy semble sur le point de dire quelque chose, mais il se ravise au dernier moment. On se dit au revoir et je les regarde rejoindre le dernier bijou de Jeremy, une Tesla P85 D. En tant que dirigeant d’une société qui prône l’écologie et le développement durable, il ne peut que rouler en électrique. Timothy, lui, a opté pour une Lightning GT. Ils peuvent être fiers de ce qu’ils ont accompli, ils le méritent amplement, d’autant plus que je ne leur ai pas facilité la tâche ces deux dernières années.

3 - ASHLEY

La semaine est quasiment finie, le temps passe à une vitesse folle. Et le jeudi, c’est la course. Je rentre juste du diner. J’ai seulement quelques heures devant moi pour me reposer avant d’enchaîner avec mon service au club.

Ma mère ignore tout de mon activité salariée du soir. Elle sait que je travaille jusque tard dans la nuit et que j’ai besoin de la voiture, mais elle pense que je bosse dans un bar branché du centre-ville. Ce n’est pas que j’ai honte de ce que je fais, c’est plutôt que j’appréhende sa réaction, donc pour éviter toute confrontation, je préfère ne rien lui dire. Comme elle n’est pas du genre à sortir le soir et encore moins dans un club pour adultes, je n’ai aucune crainte de la voir débarquer sans prévenir.

Généralement, je dîne léger avec elle avant de partir, mais ce soir, elle est avec une amie, une voisine, alors je grignote et vais me préparer. Vu que je ne veux pas que cela se sache, je ne m’habille jamais à la maison. Je prends seulement le temps de me maquiller et de me coiffer.

En temps normal, je ne mets rien ou quelque chose de très léger, je ne supporterais pas d’avoir une tonne de maquillage sous la couche d’odeur de bouffe du diner. Mais pour le club, c’est différent, l’apparence influence directement les pourboires alors je fais en sorte de devenir quelqu’un d’autre. Déjà, d’un point de vue vestimentaire, ce qu’ils nous font porter est tellement loin de mes habitudes, qu’il ne me reste pas grand-chose à faire. Les yeux charbonneux, quasiment tout le temps un chignon, cela évite que les clients puissent tirer mes cheveux. Cela m’est déjà arrivé, alors maintenant, j’évite de les laisser lâches. Et pour finir un rouge à lèvres assez foncé, du brun ou du rouge, voire fuchsia. Très peu de bijoux.

J’enfourne mon uniforme quasi-inexistant dans mon sac, attrape mes clés et sors. En voiture, il me faut entre vingt et trente minutes pour rejoindre le nord de San Francisco. Le Dream World est situé dans le quartier de Telegraph Hill. Je n’avais jamais vraiment cherché, mais je n’aurais pas pensé trouver un club pour adultes dans un quartier réputé. Comme quoi…

Je ne me gare pas très loin de la porte arrière du club et rejoins Jolene et Ariel qui fument une clope avant d’entrer dans l’arène.

– Salut les filles.

– Salut Ashley, répondent-elles en cœur. Tu vas bien ?

– Oui, ça va. Fatiguée, mais ça va.

– Je ne sais pas comment tu fais pour tenir le coup, me dit Ariel, avec un sourire compatissant.

– Ouais, je te tire mon chapeau, renchérit Jolene.

– Non, c’est moi qui vous tire mon chapeau, je ne suis pas sur la scène à danser. Vous avez tout le mérite.

– Tu pourrais si tu voulais, tu gagnerais bien plus.

– Non, je ne sais pas danser et je suis bien moins… marmonné-je en laissant en suspens.

– Bien moins quoi ? rebondit aussitôt Ariel.

– Rien. Ce n’est pas pour moi, c’est tout. Bon, j’y vais, il faut que je me change.

Ce n’est pas péjoratif, pas du tout. Mais nous ne sommes pas faites sur le même modèle. Elles ont bien plus de formes que moi. Elles sont rondes, des courbes sexy qu’elles savent parfaitement mettre en valeur avec leurs costumes de scène. Moi, je triche parfois avec du rembourrage dans mon soutien-gorge pour avoir un décolleté plus attractif. C’est malheureux d’en arriver là pour essayer de glaner un peu plus de billets. Je suis assez fine et je n’ai définitivement pas hérité de la poitrine généreuse de ma mère. Je fais un classique bonnet B, mais vu que je suis assez grande et élancée, on dirait que je n’ai quasiment rien. Enfin, je ne vais pas me plaindre, je ne suis pas une planche à pain non plus, mais à côté de Jolene et Ariel, je fais pâle figure. Je me dis juste que c’est moins attractif pour les clients.

Je rejoins les vestiaires et m’habille rapidement. Pas grand-chose à enfiler de toute façon. Un bustier long pigeonnant, le string et la micro jupe assortis, le tout dans les couleurs du club, soit du noir et du bordeaux. L’ensemble est assez classe, dans l’intimité, il serait même parfait, avec le satin, la dentelle. Mais là, je ne suis pas dans ma chambre à coucher, je vais parader dans une salle remplie à quatre-vingt-quinze pour cent d’hommes. Parfois, je me demande ce que j’ai fait pour devoir en arriver là, bien qu’il n’y ait rien de mal à travailler dans un endroit pareil, surtout celui-ci. Le patron est tout ce qu’il y a de plus respectueux, deux gardes font régulièrement des rondes et trient les clients à l’entrée, on est rarement harcelées et je dirais même que les clients sont assez civilisés la plupart du temps. C’est juste que cela ne faisait pas partie de mes rêves de petites filles.

Le cadre est assez joli et recherché, malgré ce qu’on pourrait penser de ce genre d’endroits, je m’y sens en sécurité et l’ambiance y est bonne. Les filles sont majoritairement des étudiantes qui cherchaient un travail bien rémunéré pour financer la fac. Mais encore une fois, je suis bien contente de ne pas être sur la scène à exhiber encore plus mon corps.

Ce soir, il fait assez chaud, je sens une goutte de sueur rouler entre mes omoplates. Je viens de prendre une commande au bar et je me dirige vers un petit groupe au fond de la salle. Au retour, je prends une autre commande d’un habitué et suis appelée par une autre table.

Je plaque un sourire sur mes lèvres et fais marche arrière. Il se fane dès que je reconnais les trois hommes occupant la banquette. Il s’agit de Blake et de ses deux frères. Aux regards dirigés vers moi, j’en déduis que seul Blake vient de me reconnaître. Il lui aura fallu quelques secondes, mais je vois qu’il sait qui je suis. Je n’en veux pas du tout à Jeremy et Timothy, ils fréquentent beaucoup moins le diner que Blake et je sais pertinemment que ma tenue, ma coiffure et mon maquillage suffisent à camoufler mon identité.

Le regard de Blake ne me quitte pas tandis que Jeremy et Timothy discutent entre eux. Jeremy lève enfin les yeux sur moi quand il remarque que j’attends toujours la commande.

– Blake ! Qu’est-ce que t’attends ?! Excusez-le, sourit-il. Trois whiskys s’il vous plaît.

– Un bourbon, grogne Blake.

– Deux whiskys et un bourbon alors, se reprend Jeremy en secouant la tête.

J’acquiesce sèchement et tourne vite les talons, mais pas assez pour surprendre le regard de Blake qui me détaille de la tête aux pieds.

C’est assez déstabilisant, jamais il n’a porté un tel regard sur moi au restaurant. Normal, vu que mon accoutrement, là-bas, n’a rien à voir avec ce que je porte ce soir. Il reste un homme, mais quelque chose me perturbe.

Je n’en ai rien à faire de ce qu’il peut penser de moi. Ce n’est pas ce qui me fait peur, non. Je réalise qu’un simple mot de sa part auprès de Peter et je peux dire adieu à mon poste au diner. Je ne sais pas s’il est du genre à faire une telle chose, ni même pourquoi il pourrait le faire, mais je n’arrive pas à m’ôter cette idée de la tête. Rapidement, je dépose leurs verres sur la table devant eux et encaisse la commande.

Je passe le reste de la soirée, tendue comme un arc, à l’affût du moindre regard, de la moindre parole. Ils sont bien les trois dernières personnes sur terre que j’aurais imaginé dans un club de strip-tease.

– Tout va bien ? demande Marco, le barman en chef.

– Oui, ça va.

– On ne dirait pas. Quelqu’un te fait des misères ?

– Non, non, je t’assure.

Il hoche la tête avant de servir une autre serveuse.

– Tasha, l’interpellé-je. Tu peux surveiller mon coin, il faut que j’aille aux toilettes.

– Oui, bien sûr, pas de souci, m’assure-t-elle en s’emparant de son plateau.

Je cours presque vers le couloir qui nous est réservé. Vu ce qui se passe dans les toilettes publiques, je suis bien contente qu’on en ait des privées. Je prends le temps d’essuyer une trace de mascara sous mes yeux, réinsère une mèche sauvage dans mon chignon et rejoins la salle principale. Dans le couloir, je me heurte à un corps massif. Deux bras puissants me retiennent, m’évitant de m’affaler par terre.

Mes mots d’excuses restent sur le bout de ma langue quand je découvre qui me fait face. Blake. J’ai la poisse, ce n’est pas possible.

Il me fusille littéralement du regard. J’ai envie de lui hurler dessus, de le gifler de toutes mes forces, voire même de lui envoyer mon poing dans la figure, je suis sûre que cela me ferait le plus grand bien. Mais au lieu de ça, je prends sur moi, la peur de tout à l’heure n’étant pas loin. Je ne sais pas ce qu’il attend de moi, à rester planté là dans le couloir. Des excuses peut-être ?

– Je suis navrée.

Je n’ai droit qu’à un croisement entre un grognement et un geignement. Ma présence le dérange à ce point-là ? Pour sûr, il ne remettra plus jamais les pieds dans cet endroit maintenant qu’il sait que j’y travaille.

De nouveau, son regard perçant me scrute. Il parcourt le moindre centimètre carré de mon corps comme s’il cherchait quelque chose. Un frisson me trahit. Je m’en veux de réagir de la sorte.

– Vous avez abandonné le diner ? lâche-t-il sèchement, me sortant de ma transe.

– Non, pourquoi ?

– Qu’est-ce que vous faites là alors ?

– Je travaille ici.

– Vous travaillez au resto et ici ? réalise-t-il en levant un sourcil.

– Oui, ça vous pose un problème ?

Il fronce brusquement les yeux et passe une main dans ses cheveux. Je suis saisie par son parfum si masculin, un mélange d’odeurs boisée et d’océan. Je n’ai jamais été si près de lui. Mon regard se pose sur sa pomme d’Adam. Dieu que c’est sexy !

Hey oh ! Ressaisis-toi ma vieille ! Ce mec n’est pas sexy, il est horripilant !

 Bon, visiblement on peut être sexy ET horripilant. Dommage que sa barbe vienne gâcher l’ensemble. Je ne dis pas que les barbes sont à bannir, seulement la sienne, elle rendrait fous les barbiers, je pense.

– Est-ce que… Est-ce que vous…

– Est-ce que quoi ? s’énerve-t-il, atteignant sans doute son maximum en ma présence.

– Est-ce que vous allez en parler ? Au diner ?

– De quoi ? De votre second travail ? Pourquoi je ferais ça ? Qu’est-ce que j’en ai à foutre ? m’assène-t-il.

Je reste sciée sur place par son agressivité et son manque de chaleur. Il me pousse brusquement pour me dégager de la porte d’entrée des toilettes des hommes.

Voilà la raison pour laquelle il restait face à moi. Je cligne des yeux plusieurs fois pour chasser les larmes qui menacent et rejoins la salle. Je capte le regard protecteur de Marco. Je le rassure d’un petit sourire et retourne en salle prendre les commandes et servir les clients en pâmoison devant les filles dénudées sur scène.

La soirée n’a définitivement pas pris la tournure habituelle. J’appréhende la suite. Qu’est-ce que je peux espérer de Blake ?

***

C’est un peu sur les nerfs que je rejoins le diner pour cette nouvelle semaine. Rose sent immédiatement que quelque chose cloche. Ce n’est pas que je n’aimerais pas me confier à elle, mais je me dis que ce qu’elle ignore ne peut pas lui causer de problèmes.

– Qu’est-ce qui se passe ma belle ? demande-t-elle alors que je sors de derrière, en nouant mon tablier dans le dos.

– Rien, tout va bien.

– Tu es sûre ? Je te trouve bien pâle, tu es malade ?

– Je suis d’accord avec Rose, intervient Lacey qui a toujours une oreille qui traîne.

– Tout va bien les filles.

Toutes les deux me lancent ce regard qui dit cause toujours on te croit. Je lève les yeux au ciel et pars m’occuper des clients.

Le début de la journée se passe plutôt bien. Les clients sont adorables, Peter de bonne humeur. Je commence juste à me décontracter. Un homme entre dans le restaurant et va s’installer à une table au milieu. Je vais à sa rencontre et lui tends un menu. Il me regarde, me sourit gentiment avant de prendre la carte. Il est déjà venu quelques fois depuis un peu plus d’une semaine. Si tous les clients pouvaient être comme lui, ce serait un bonheur.

Cette constatation prend encore plus de sens quand j’entends la porte tinter derrière moi. Je rejoins le comptoir et observe de loin Blake poser sa planche, passer une main dans ses cheveux humides et se diriger vers sa place habituelle. Je me demande si toute la ville est au courant que c’est sa place. Je ne l’ai jamais vu devoir discuter pour récupérer son siège.

– C’est encore ce beau brun qui te préoccupe ? murmure Rose, en arrivant derrière moi.

– D’un, ce n’est pas un beau brun. De deux, continué-je en levant un autre doigt, personne ne me préoccupe.

Le visage de Rose se fend d’un grand sourire, je vois bien qu’elle n’est pas dupe.

– D’un, m’imite-t-elle le doigt en l’air, je t’assure qu’il y a un très beau jeune homme sous cette coupe de cheveux peu valorisante et cette barbe affreuse. De deux, je respecte le fait que tu ne veux pas me dire ce qui te pose souci, mais ne me dis pas que tout va bien, je sais que c’est faux.

– Rose, murmuré-je.

– Ce n’est rien ma belle. Quand tu te sentiras prête, je serai là.

– Merci.

Je presse sa main avant de disparaître en cuisine. Je ne sais pas si je risque quelque chose avec ce qu’il a appris jeudi soir. J’avoue que moi aussi, je suis encore sous le choc de les avoir retrouvés là-bas. Je passe commande d’une complète et patiente le temps que Dario la prépare. Une fois satisfait de son travail, il me la tend et sûre de mon coup, je rejoins la table occupée par Blake. Une complète, ce qu’il a l’habitude de prendre, j’ai peu de chance de me louper.

Un peu timidement, je la pose devant lui et me prépare à un commentaire. Il fixe d’abord l’assiette d’un air dubitatif avant de darder un regard noir sur moi.

– Je n’ai pas passé commande, dit-il durement.

– Oui, je sais, mais je…

– Aujourd’hui, je veux une bacon, vous n’auriez pas dû anticiper, dit-il content de lui.

J’aurais dû m’attendre à quelque chose comme ça. Je ravale mes larmes, persuadée qu’il agit ainsi pour me blesser et récupère le plat. Une erreur de commande et c’est pris sur votre salaire. Je n’avais vraiment pas besoin de ça.

– Mademoiselle ! m’appelle le client qui est entré juste avant Blake, alors que je passe devant lui.

Je me retourne et lui souris gentiment. Il ne m’a rien fait, pas de raison qu’il subisse ma mauvaise humeur.

– Oui ?

– Donnez-la moi.

– De quoi ? réponds-je en secouant la tête.

– L’assiette, c’est une complète c’est ça ?

– Oui, mais…

– Donnez-la moi.

– Oh non, non, je vais vous en commander une.

– Laissez, je vous assure, je sais comment ça marche. Ça ne me dérange pas. C’est une petite erreur, ce n’est rien.

Je jauge l’homme un instant. Son sourire fait plaisir à voir. Il est jeune, assez charpenté, d’après sa tenue de travail, il doit être dans le bâtiment, sans doute un des ouvriers qui bossent sur le chantier pas très loin. Son regard est doux et je vois qu’il veut sincèrement m’aider. Je lui souris chaleureusement et dépose l’assiette devant lui.

– Merci.

– De rien, affirme-t-il avec un clin d’œil.

Je file immédiatement en cuisine pour passer la commande de monsieur chiant, je fais un tour en salle pour vérifier si tout se passe bien, resservir les gens en café, puis je récupère l’assiette de Blake. Il ne fait aucun commentaire, sans doute juge-t-il suffisant son coup de tout à l’heure.

Je suis à la caisse quand mon chevalier servant s’avance pour régler.

– Merci encore, dis-je en attrapant son billet.

– De rien.

Je lui rends la monnaie qu’il s’empresse d’insérer dans le pot à pourboires. Même si le client ajoute le pourboire sur son ticket, on a mis en place un pot pour les cuisiniers, pas de raison qu’ils n’y aient pas droit aussi.

– Je me demandais, dit-il en se raclant la gorge, si euh…

– Oui ?

– Est-ce que vous accepteriez de venir boire un café avec moi ?

– Oh… je… eh bien… bafouillé-je alors que Rose m’observe du coin de l’œil, l’air de rien.

Si j’ai l’habitude des propositions en tout genre au club, au diner c’est beaucoup plus rare. Les petites serveuses en uniforme font moins rêver que les serveuses en bikini visiblement.

– Ce n’est pas grave, je comprends, murmure-t-il en prenant mon silence pour ce qu’il n’est pas.

– Non, non, c’est d’accord, avec plaisir.

– Super ! Je dois y aller, mais je repasse demain pour qu’on fixe un moment.

– Ça marche. Bonne journée.

– Merci, vous aussi.

Il me gratifie d’un grand sourire avant de quitter le restaurant. Un bruit sourd attire mon attention et mon sourire s’envole aussitôt quand je découvre Blake qui se tient raide comme un piquet devant moi, l’air mal aimable.

– Je ne vais pas attendre quinze plombes, grogne-t-il en me tendant un billet.

– Pardon, murmuré-je mal à l’aise.

J’essaie vraiment, je prends sur moi, mais je sens qu’à un moment donné, la coupe sera plus que pleine et je vais craquer. Qu’est-ce que je lui ai fait bon sang ? Je n’ai jamais renversé aucune assiette sur lui ou sur sa table, ni de café d’ailleurs. Jusqu’à aujourd’hui et ma mauvaise initiative, je ne me suis jamais trompé de commande. Je ne sais pas. Tout simplement, il ne m’aime pas. Je sais que pour certaines personnes, c’est physique comme on dit, eh bien, ça n’est pas agréable, loin de là.

Comme souvent depuis quelques temps, mon regard se pose sur son tee-shirt.

LA PATIENCE ET MOI, ÇA FAIT 2

Je retiens un rire tellement c’est bien choisi. Cela dit, c’est sympa de sa part, il prévient les gens qui lui font face de cette manière. Est-ce qu’il se rend compte à quel point c’est ridicule ?

– La bacon est moins chère que la complète, me rappelle-t-il, comme si j’allais me tromper.

– Je suis au courant, merci, réponds-je sèchement en faisant glisser sa monnaie sur le comptoir.

Je le vois rapidement compter des yeux et contrairement à l’homme de tout à l’heure, Blake ne met rien dans le pot à pourboires, il récupère tout son argent et tourne les talons sans un au revoir. Dans la mesure où je n’obtiens même pas un bonjour, le au revoir est de toute manière superflu.

Je reste un instant sidérée face à son attitude. Rose aura beau me dire tout ce qu’elle veut, je n’invente rien. Peut-être que je trouverai le courage de l’affronter un jour, histoire de mettre tout à plat.

4 - BLAKE

Ce matin, sur ma planche, je n’ai envie de rien. Je me contente de rester assis à contempler l’horizon. Deux ans que j’ai perdu goût à la moindre chose. Je sais ce que mes frères attendent de moi, ce n’est pas que je n’aimerais pas, mais sincèrement, je ne sais plus comment faire. J’avais construit quelque chose, je voyais pour moi un avenir brillant, enrichissant et heureux. Aujourd’hui, c’est comme si ma vie avait perdu tout son sens.

Las, je rejoins la plage. J’observe au loin un couple qui court, leurs pas marquant le sable en cadence. Des souvenirs remontent à la surface, je les chasse rapidement et rejoins ma voiture.

En entrant dans le restaurant, je suis saisi comme chaque matin par les odeurs familières et réconfortantes. Le même type que la veille est installé à la même table à un mètre de la mienne. Ashley est en train de se diriger vers lui. Je l’observe à la dérobée.

Elle ne fait pas particulièrement d’efforts, elle est naturelle et vraiment très jolie. Mon cœur se serre à cette constatation. Elle se déplace avec grâce et légèreté, ne privant personne d’un sourire chaleureux. Celui qu’elle adresse au client est vraiment éblouissant.

Sans le vouloir, je laisse traîner mes oreilles et écoute leur conversation, les yeux rivés sur le porte-serviettes devant moi.

– Bonjour.

– Bonjour. Comment allez-vous ? lui demande-t-il.

– Bien merci. Qu’est-ce que vous souhaitez manger ?

– Eh bien, comme hier, ce serait parfait.

– Ce que vous vous êtes senti obligé de manger ou ce que vous voulez vraiment ?

– Si je vous dis que c’est la même chose.

Elle rit doucement avant de lui sourire franchement. Il est clairement en train de la draguer. Je ne sais même pas pourquoi ça me fait chier, mon cœur est en train de s’emballer et j’ai subitement chaud.

– Vraiment, comme hier.

– Très bien. Du café pour accompagner ?

– Oui, merci.

– D’accord, je reviens dans un instant.

– Pas de souci, je ne bouge pas.

Je rêve ou il vient de lui faire un clin d’œil ? Bordel !

Elle se tourne vers moi et son visage change du tout au tout. Je suis incapable de lâcher son regard des yeux. Je sais que je dois être en train de la foudroyer, mais je n’arrive pas à faire autrement. À vrai dire, j’ai dû mal à penser à quelqu’un d’autre qu’elle depuis que je l’ai croisée dans ce foutu club.

Je n’avais pas envie d’aller dans ce truc, qu’est-ce que j’allais y foutre ? Mes deux bons à rien de frères m’ont forcé la main. Soi-disant pour m’aider à me remettre sur les rails, ce que je ne cherche absolument pas à faire, entre parenthèses, mais j’ai voulu leur faire plaisir et j’ai accepté de sortir. Je me faisais chier, ils essayaient de me divertir et puis elle est apparue.

Je me suis rendu compte que mes frères ne l’avaient pas reconnue, mais moi si, presque immédiatement. J’étais stupéfait, halluciné et choqué. Je ne me suis pas attardé sur sa tenue, son physique. Putain non, je me demandais ce qu’elle foutait là, à bosser dans un endroit pareil. On a eu quelques mots, je n’ai absolument pas été sympathique, je l’accorde, mais bordel, j’étais sous le choc. Parce que bon sang, en dehors du contexte du diner, elle était si différente, elle lui ressemblait encore plus et cela m’a perturbé.

– Bonjour, répète-t-elle sans doute pour la troisième fois en se raclant la gorge.

– Une chicken, grogné-je pour bonjour.

Elle hausse un de ses délicats sourcils. J’ai envie de lui dire quoi ? je ne peux pas changer ? mais je me retiens.

– Vous êtes sourde ou quoi ? lâché-je à la place.

– Seulement quand j’entends des conneries.

Je pouffe à sa réplique et répète ma commande sans me démonter.

– Une chicken.

– Très bien, je reviens.

Elle me laisse en secouant la tête et rejoint la cuisine pour donner nos commandes.

J’observe le gars qui me tourne le dos. Plutôt baraqué, sans doute en rapport avec son métier, probablement le bâtiment, la peau tannée par le soleil, une coupe de cheveux courte et soignée. Un gars simple, mais sans doute son genre.

Moins de dix minutes plus tard, Ashley revient vers nous. À mon étonnement, elle me sert en premier. J’observe l’assiette tandis qu’elle remplit ma tasse de café. Elle semble attendre quelque chose. J’ignore son regard, mais ne manque pas son lourd soupir. Puis elle passe à mon voisin.

– Tenez, sourit-elle.

– Merci. Je m’appelle Finn, au fait, se présente-t-il.

– Ashley, s’empresse-t-elle de répondre en lui serrant la main qu’il lui tend.

Ils restent un instant à se dévisager, puis elle se met à rougir. Je peux savoir ce qui est en train de se passer ? Je laisse bruyamment retomber la salière sur la table, mettant fin à leur échange.

– Bon appétit, lui souhaite-t-elle avant de retourner s’occuper des autres clients.

Je mange alors que je suis sur les nerfs, je ne sais foutrement pas pourquoi. Je déteste quand je ne contrôle pas les choses, il y en a eu tellement qui ont eu le dessus sur moi et ma vie, je refuse que cela recommence.

J’espérais partir avant ce mec, mais une fois de plus, je me retrouve derrière lui à la caisse et je suis obligé d’assister à leur conversation, encore.

– Ça tient toujours pour ce café ?

– Bien sûr.

– À quelle heure tu finis ce soir ?

– Quinze heures.

– Je passerai à ce moment-là alors. Est-ce que ça te va ?

– Oh, euh bien, bafouille-t-elle alors que son regard descend sur sa tenue.

– Tu es parfaite, la rassure-t-il.

Elle rougit de nouveau et hoche la tête.

– J’ai hâte d’être à tout à l’heure. Bonne journée.

– Merci, toi aussi.

Il glisse un billet dans le pot à pourboires et quitte le restaurant. Mécaniquement, je tends un billet de vingt et laisse Ashley me rendre la monnaie. Je reste bêtement à la fixer sur le comptoir. Je suis un gros connard, je suis devenu insensible et je ne sais plus comment on fait.

– Tout va bien ? demande-t-elle d’une voix douce.

Je ne réponds rien, glisse quelques pièces dans le pot, la laissant stupéfaite avant de quitter le diner.

***

 

– Comment ça va mon grand ? demande ma mère alors que je suis affalé sur une chaise longue sur la terrasse.

Moi qui voulais m’isoler, je crois que c’est mort.

– Ça va, réponds-je sans entrain.

– Est-ce que tu y crois ?

– Maman, grogné-je.

– Blake… commence-t-elle avant de s’installer tout comme moi. Je sais ce que tu te dis, je ne suis plus un gamin.

– À peu près.

– Peu importe l’âge que tu as et que tu auras, tu resteras toujours mon fils.

– Je sais, soufflé-je, en fourrageant dans mes cheveux.

– Tout ce que je dis, c’est que j’ai mal au cœur en te voyant mon chéri. Je sais bien que la vie n’est plus la même, nous aussi nous avons souffert et nous souffrons toujours, mais tu es en vie Blake, tu as le droit de vivre.

– C’est ce que je fais.

– Non, tu survis, tout au plus. Tu n’as plus goût à rien. Tu passes tes journées à ne rien faire justement, toi qui ne tenais pas en place. Je ne reconnais plus mon fils.

– Maman, soupiré-je en me redressant.

– Qu’est-ce qu’il te faut ? Tu as besoin de parler à quelqu’un ?

– Nan.

– Dis-moi ce dont tu as besoin.

– De rien, ni personne, m’énervé-je, en me relevant.

Je regrette immédiatement mes paroles quand je lis la peine dans ses yeux, mais trop tard, c’est dit.

– Tu te fais du mal inutilement. Tu te prives de vivre ta vie. Tu devrais avoir honte de gâcher ton temps, ton énergie, ton existence comme ça. Ce n’est pas ce que… laisse-t-elle en suspens, elle n’a pas besoin de continuer. Blake, nous sommes là pour toi, nous l’avons toujours été, mais réfléchis bien à ce que tu fais de ta vie. Il est temps que tu te bouges un peu.

Elle me laisse le regard triste et je constate seulement à ce moment-là que Jeremy, Timothy et mon père ont assisté à notre échange. Je lis aussi la déception et la tristesse dans leurs regards. Je détourne les yeux et laisse mon esprit partir dans mon passé, mes souvenirs heureux, mes réussites, ma fierté. Je suis bien loin de tout ça. J’ai perdu toute motivation, toute émotion. La seule qui a suscité la moindre étincelle jusqu’à maintenant, à part mes frères, c’est Ashley, pourtant ce n’est pas en bien.

Quand je fais de nouveau face à la maison, tout le monde est retourné à l’intérieur. Je rentre par la baie vitrée qui donne sur la terrasse. Mes frères sont installés dans le canapé, devant un match de baseball. J’entends mes parents qui chuchotent dans la cuisine. Je m’y dirige et découvre ma mère dans les bras de mon père. Génial, j’ai réussi à la faire pleurer.

– Maman ?

Elle se détache immédiatement des bras de mon père. Elle n’a pas l’air d’avoir pleuré, elle a simplement l’air triste et je suis responsable de son état.

– Je suis désolé.

– Je sais que tu l’es.

– Oui, nous le savons, assure mon père.

– Mais ça ne suffit pas, hein ? dis-je en grimaçant.

– C’est ta vie mon chéri, mais je doute que tu sois heureux comme ça.

Cela se passe de commentaire. Mon père passe à côté de moi et serre mon épaule l’air compatissant. Ma mère s’avance ensuite vers moi et pose ses mains sur mes joues.

– Mon chéri, je suis tellement désolée si tu savais.

– Tu n’y es pour rien maman.

– Je reste ta mère et quand tu souffres, je souffre aussi. J’aimerais tellement pouvoir faire quelque chose pour toi.

– Je vais m’en sortir maman.

– Tu es sûr ?

– Oui. Je te promets de faire des efforts. Tu as raison.

Je ne sais pas si je vais y arriver, mais je peux essayer. Je sais bien que je ne peux pas rester comme ça. Je laisse ma mère me prendre dans ses bras, elle arriverait presque à me faire pleurer.

 

5 - ASHLEY

 

– Je n’arrive pas à croire que tu aies réussi à me traîner à ce truc, se plaint Lacey alors qu’on avance doucement dans la forêt.

On a rejoint en début d’après-midi le parc Marin Headlands de l’autre côté de San Francisco, au-delà du Golden Gate Bridge pour une opération Nettoyons la nature. J’ai bossé hier soir, pourtant je me suis levée de bonne humeur peu après midi pour participer à cet événement. Dès que je peux, je me porte volontaire.

– On est dimanche… continue-t-elle en récupérant une bouteille en plastique par terre.

– Je sais. Merci encore mille fois de m’avoir accompagnée. Allez ! Respire ce bon air ! Lève le nez. Regarde comme c’est beau, m’extasié-je devant tant de beauté.

– Tu n’as pas tort, admet Lacey. Je t’embête. Je suis contente d’être là avec toi malgré le fait que je ronchonne. Je sais que c’est pour la bonne cause. Tu m’aurais dit qu’il fallait se lever à sept heures, ça aurait été une autre histoire.

Je me mets à rire en ramassant un sac plastique.

Mon Dieu, que les gens peuvent être dégueulasses ! Ils prennent tout simplement la planète pour une poubelle, ni plus ni moins.

Je donne un petit coup d’épaule à Lacey et on avance en rythme avec le groupe. Après deux heures de ramassage, nous déposons nos sacs remplis de déchets dans la remorque prévue à cet effet et le responsable distribue de l’eau à tout le monde.

– Est-ce qu’on t’a déjà dit que tu étais une belle personne ? me dit Lacey alors que le bus nous ramène vers la ville.

– Qu’est-ce que tu racontes ? me marré-je.

– Regarde-toi. Tu trimes comme une malade pour aider ta mère et tu trouves le temps malgré tout de faire ce genre de choses. Si tu n’étais pas là, ça ne me viendrait même pas à l’idée. C’est horrible de dire ça, réagit-elle en grimaçant. Je suis horrible.

– Mais non, arrête de dire des bêtises. Je fais ce qu’il me semble juste c’est tout et je passe un bon moment avec des gens formidables alors…

Elle presse ma main et on profite du paysage sur le retour.

– Tu viens boire un verre avec Kristen et Beverly ?

– Oh… Eh bien…

Je réfléchis rapidement, est-ce que je peux m’offrir un verre ? Lacey sait que je bosse dur pour subvenir à nos besoins, mais elle ne sait pas forcément à quel point je peux avoir des problèmes financiers. Je n’en parle pas parce que je ne veux pas qu’on ait pitié de moi.

– Pourquoi pas, mais juste un verre, je ne veux pas rentrer tard pour être avec maman.

– Ça marche !

On se retrouve donc avec les filles dans un petit bar à la mode près du parc Presidio. À la base Kristen et Beverly sont des amies de Lacey. Quand j’ai commencé à bosser au diner, j’ai rapidement sympathisé avec Lacey, on a le même âge, on s’est tout de suite bien entendu. Alors dès qu’elle a pu, elle m’a présenté ses deux plus proches amies. Elles sont restées en contact après le lycée. Kristen a fait des études de commerce et travaille maintenant dans une boutique de vêtements dans un grand centre commercial tandis que Beverly bosse dans un cabinet de comptables. Je les rejoins régulièrement et je passe toujours un bon moment.

Après le verre, on finit par grignoter quelque chose. Je suis déjà en train de réfléchir à un boulot complémentaire que je vais pouvoir trouver dans la semaine pour combler cette dépense imprévue.

Allez Ashley ! Arrête de penser à ça ! Profite de tes amies !

– Alors, raconte-nous ton rendez-vous avec Finn.

– C’était sympa.

– Juste sympa ? s’étonne Lacey.

– Oui, enfin, Finn est très gentil, attentionné. Il s’est intéressé à moi, m’a posé plein de questions, mais je… Je n’ose pas tout raconter, me confier, je ne veux pas le faire fuir.

– Tu as passé un bon moment ?

– Oui.

– Tu as prévu de le revoir ?

– J’aimerais bien.

– Eh bien, dans ce cas, ne pense pas à tout ça. Profite du moment présent, laisse-le gagner ta confiance et tu aviseras ensuite.

– Tu as raison.

Je laisse les filles faire la conversation. Elles discutent de leurs sorties, des films qu’elles sont allées voir au cinéma, des voyages qu’elles ont prévu de faire. Je me rends compte que je vis presque par procuration à travers elles, ça fait pitié.

***

 

Le temps passe à une vitesse, nous sommes déjà jeudi et je ne me suis rendu compte de rien.

– Tu as l’air fatigué ma puce, constate ma mère en s’installant dans le canapé.

– Peut-être un peu.

– Quand est-ce que tu vas prendre du temps pour toi ?

– Plus tard, soupiré-je en posant ma tête sur ses genoux.

Je l’entends rire doucement alors que je me mets dans cette position. J’en ai pris l’habitude depuis que je suis toute petite, c’est une invitation silencieuse à des grattouilles dans le dos. Elle glisse la main sous mon tee-shirt et gratte délicatement mon dos du bout des doigts. Un frisson s’empare d’abord de moi avant le bonheur tout simplement.

J’ai travaillé au club cette nuit, j’aurais dû rester au lit jusqu’au milieu d’après-midi avant de recommencer un nouveau soir, mais j’ai accepté un petit job de quelques heures en début d’après-midi alors je suis un peu claquée. Je me sens d’ailleurs doucement partir sous les caresses de maman.

– Ma puce, murmure-t-elle doucement à mon oreille.

– Hum ? ronronné-je en papillonnant des yeux.

– Je t’ai laissée dormir un maximum, tu vas être en retard ma chérie.

J’ouvre brusquement les yeux et me redresse. Je regarde la pendule au-dessus de la télé. J’ai une heure devant moi. Le temps de me préparer et d’aller au boulot. Je souris à maman et rejoins ma chambre.

Elle a raison, je suis fatiguée, mais je n’ai pas vraiment le choix. Entre le traitement médical de maman qui coûte un bras, le loyer, les frais pour la voiture et les diverses factures, je n’ai pas le temps de m’arrêter pour me relaxer.

J’arrive un peu sur les nerfs au club, mais je mets rapidement ma mauvaise humeur de côté et salue tout le monde avec un sourire sur les lèvres.

– Salut la belle, me dit Marco en me rejoignant dans les vestiaires.

– Tout va bien ?

– Ça va. Tu m’attends à la fin, j’ai quelque chose pour toi.

– Oh ! Oui, ça marche.

Il me fait un clin d’œil et repart en salle. Une fois peu vêtue, je la rejoins aussi et la soirée commence, semblable aux autres et pourtant différente.

Lors d’un moment plus calme, je m’appuie contre le bar et observe Ariel sur scène, toute en courbes et sensualité. Je me demande si les quelques fois où j’ai été avec un mec, j’ai réussi à susciter l’étincelle que je vois dans le regard de beaucoup d’hommes dans la pièce. J’en doute.

Ma première fois a eu lieu assez jeune, j’avais tout juste quinze ans, avec un garçon un an plus vieux, au lycée. C’était nul. Autant pour lui que pour moi, je pense. Depuis, je n’ai jamais vraiment été avec quelqu’un. Je n’ai pas le temps pour ça. J’ai eu quelques aventures, le plus souvent avec des mecs rencontrés ici. Je jauge simplement si physiquement, ils me plaisent, on passe une nuit ensemble et c’est tout. Je ne cherche rien d’autre et eux non plus, alors tout va bien. Je sais ce que la plupart pensent des filles qui bossent dans des lieux pareils alors ça m’arrange bien, je n’ai pas à m’étendre sur ce qu’est ma vie.

Il est un peu plus de quatre heures quand je rejoins les vestiaires pour me changer. Sur le trottoir, je patiente avec Ariel et Jolene, le temps que Marco ferme l’établissement. Quand il nous rejoint, nous restons encore ensemble quelques minutes, histoire qu’il fume sa clope, puis les filles nous disent au revoir.

– Tu sais, commence Marco en s’approchant de moi comme s’il s’apprêtait à me confier un secret, ça fait plusieurs fois que je remarque un mec qui n’avait pas l’habitude de venir.

– Ok, dis-je en secouant la tête. Pourquoi tu me dis ça ? Tu le trouves bizarre ?

– Non, rit-il. Enfin, son attitude est curieuse.

– Comment ça ?

– Eh bien, normalement les mecs qui viennent passent leur temps à baver sur les filles qui dansent.

– Oui, je sais bien.

– Eh bien, pas lui. Il n’en a rien à faire.

– Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Il est peut-être fan du barman, le taquiné-je.

– Oh non, ce n’est pas moi qu’il reluque.

– Je croyais qu’il ne reluquait personne.

– Je n’ai jamais dit ça, j’ai dit qu’il ne matait pas les danseuses, répète-t-il en me fixant intensément du regard.

– Quoi ? Moi ?! m’étonné-je, avant d’exploser de rire.

– Oui, affirme-t-il. Enfin, il t’observe d’une façon un peu déroutante.

– Tu commences à me faire peur.

– Mais non, je te rassure, il n’y a rien d’effrayant à sa façon de faire. Je ne sais pas comment l’expliquer. Est-ce que tu as un frère ?

– Non. Il me regarde comme un frère le ferait ? pouffé-je, dubitative.

– Oui, en quelque sorte. J’ai pu voir de l’inquiétude et de la colère aussi. Je n’en sais rien.

– C’est ridicule ce que tu racontes Marco ! souris-je, en secouant la tête.

– Ouais enfin bref, tu feras attention la prochaine fois, je te le montrerai.

– OK.

Il fouille dans la poche intérieure de son blouson pour en sortir une enveloppe froissée.

– Voilà, comme tu me l’as demandé. J’espère que ça suffira, je ne retourne pas là-bas avant le mois prochain.

– Oui, ça devrait aller, j’ai anticipé un peu. Merci encore de faire ça pour moi.

– Je ne fais pas grand-chose Ashley. Merci de t’être confiée à moi en tout cas.

– Ce n’était pas facile, mais ça m’a fait du bien.

Il se penche vers moi pour déposer un baiser sur ma joue tandis que je serre fermement l’enveloppe entre mes doigts.

– Je suis vraiment désolé, tu sais, dit-il doucement alors que je la range dans mon sac.

– Je sais, moi aussi, mais on n’y peut rien, hein ?

Il me lance un petit sourire contrit.

– Je t’accompagne à ta voiture ?

– Elle est juste là, réponds-je en la montrant du doigt juste derrière lui.

– OK, eh bien, dans ce cas, je te souhaite un bon dimanche. À jeudi.

– Oui, toi aussi, à jeudi.

Je l’embrasse à mon tour sur la joue et il me dépasse pour rejoindre son véhicule.

Je suis devant ma portière, en train de fouiller dans mon sac pour récupérer ma clé, quand j’entends des pas fouler le bitume dans mon dos. Mon cœur s’emballe et j’ai le réflexe de glisser deux clés entre mes doigts, prête à affronter mon potentiel agresseur. Je me retourne à la vitesse de l’éclair et brandis mon poing.

Je le laisse aussitôt retomber en découvrant Blake qui s’avance vers moi, les poings serrés et le regard dur.

Heureusement pour moi, la rue est parfaitement éclairée, mais je ne suis pas forcément très rassurée. Je me demande, en voyant son expression, si j’ai bien fait de baisser ma garde.

Bordel ! Qu’est-ce qu’il fait ici ? Pourquoi est-il devant moi ? Pourquoi me regarde-t-il comme ça ? Et oui, bordel ! Qu’est-ce qu’il fout ici ? Ça n’a aucun sens.

Je ne sais même pas quoi dire, tellement tout ça ne rime à rien. Je regarde à droite et à gauche à la recherche de je ne sais quoi, puis on s’affronte du regard pendant quelques secondes. Qu’est-ce qu’il attend ? Ce n’est quand même pas à moi de faire quoi que ce soit. C’est normal pour moi d’être ici, lui, un peu moins.

Ma discussion d’avec Marco me vient immédiatement en tête. Est-ce lui le mystérieux client ? Celui qui m’observe ?

Un frisson s’empare de moi et je recule instinctivement contre ma voiture. Mon dos heurte la poignée de la porte et mon sac s’échappe de mes mains. Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Est-ce qu’il va m’agresser ? Est-ce qu’il va finir par me dire ce qu’il veut bon sang ?!

Je m’accroupis pour ramasser mes affaires et le vois m’imiter. Je récupère diverses babioles de filles : du maquillage, un étui à lunettes, un paquet de mouchoirs, mon portefeuille tandis que Blake attrape l’enveloppe que m’a donnée Marco.

– Qu’est-ce que c’est ? grogne-t-il.

Je me redresse vivement et tente de lui arracher des mains. Mais il la tient fermement et visiblement, il a bien plus de force que moi. Il tâte le papier, cherchant à découvrir ce qui se trouve à l’intérieur. Il doit se rendre compte qu’il ne s’agit pas de papier, type billet. De petits ronds commencent à prendre forme à travers le papier. Il fronce les sourcils et me foudroie une nouvelle fois du regard.

– C’est de la drogue, m’accuse-t-il.

Je pars dans un ricanement sec et tente à nouveau de m’emparer de mon bien, chèrement payé. Il tend le bras derrière lui, m’empêchant de le récupérer. C’est une blague ?!

– Le club de strip, la drogue, manque plus que la prostitution et on aura le parfait cliché, assène-t-il en me foudroyant du regard.

J’ouvre la bouche comme un poisson hors de l’eau tellement choquée par ses propos, mais pour qui me prend-il ? J’entre dans une colère monstre et ne me retiens pas, ma main s’abat sur sa joue et j’en profite pour récupérer l’enveloppe.

– Vous n’êtes qu’un gros connard ! m’écrié-je, les joues rouges. Un gros connard !

Je n’en reviens pas ! C’est tout bonnement hallucinant. Je cherche à nouveau à droite et à gauche pensant peut-être trouver une caméra cachée. On me fait une blague, ce n’est pas possible. Cependant, rien ne vient. Je suis vraiment en train de me faire insulter de pute par un homme que je ne connais même pas !

Je fourre sèchement l’enveloppe dans mon sac et pointe un doigt sur son torse alors qu’il se frotte encore la joue, il ne l’a sans doute pas vu venir celle-là.

– Je ne sais pas ce que je vous ai fait mais putain, foutez-moi la paix ! Passe encore votre comportement odieux au diner, mais là ? Ce soir ?! Bordel, mais qu’est-ce que vous foutez là ? Et ce dont vous m’accusez ?! ricané-je mauvaise en secouant la tête. Vous ne me connaissez pas ! Je n’ai absolument rien à vous prouver et dois-je vous rappeler ce que vous m’avez dit dans le club ?

Je le sonde un instant, il me fixe le regard brillant. La noirceur que j’y ai toujours vue a disparu. Je dirais même qu’il semble intrigué, fasciné, par mon emportement, ma réaction et ma colère.

– Vous m’avez dit que vous vous en foutiez, alors restons-en là.

Je ne lui laisse pas le temps pour me répondre et fais demi-tour vers ma voiture. Les mains tremblantes, j’insère la clé et ouvre la portière.

– Je ne sais rien de vous je sais bien, mais je sais que la drogue n’est pas une solution, lâche-t-il dans mon dos.

Je ne prends même pas la peine d’ajouter quoi que ce soit, il n’en vaut pas la peine.

Pourquoi je perdrais mon temps avec lui ?

Totalement déconcertée et en colère, je rejoins mon appartement. Je n’arrive toujours pas à croire ce qui vient de se passer.

À suivre…

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