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numérique et broché

2 premiers chapitres

1

JOY

– Tu as prévu un programme particulier ? me demande Ellie, ma meilleure amie, assise sur la place passager de la voiture de son compagnon.

– Non, dis-je en souriant, installée à l’arrière, je crois que j’ai envie de me laisser porter par le soleil, la plage et les cocktails.

J’aperçois le reflet des yeux rieurs de Preston, son compagnon, dans le rétroviseur.

– Quoi ?!

– Rien du tout, me lance-t-il, avec toutefois un soupçon de plaisanterie dans la voix.

Ellie tourne la tête vers lui et sourit comme une groupie adolescente. Elle est complètement en pâmoison devant son homme, amoureuse comme jamais, et, en toute honnêteté, il y a de quoi ; Preston Barlow est beau, intelligent, et doué d’un esprit particulièrement affûté (bien que cette dernière qualité ait parfois pu se montrer à double tranchant). Il est également, de l’avis général, absolument parfait pour elle, si on passe rapidement sur le parcours chaotique qui les a menés à cette magnifique relation, dont je suis, bien malgré moi, un tantinet jalouse.

Je décide d’expliciter un peu le très ambigu « rien du tout » du séduisant éditeur.

– Mais bien sûr ! Je sens que tu moques intérieurement de mes projets.

– Tu ne voulais pas ajouter à ta formule, et je cite, « une brochette de beaux mecs » ?

– Ah ça ! Oui c’est vrai, t’as raison, Preston ! Des vacances d’été dignes de ce nom doivent absolument impliquer un ou deux beaux gosses à admirer et à tripoter. C’est un minimum, bien sûr, mais je me sens une ambition démesurée, ajouté-je avec un sourire carnassier.

Nous rions tous les trois de mes bêtises. Je pars enfin en vacances après des mois de travail sans interruption. J’ai grandement besoin d’une pause pour me détendre et souffler, mais je ne vais pas m’en cacher, j’espère réellement pouvoir satisfaire d’autres attentes ; j’adorerais vivre une ou deux nuits brûlantes avec un beau spécimen qui ferait de moi sa reine, pour une nuit ou… davantage.

Il est près de dix-neuf heures et le trafic est plutôt chargé en cette fin d’après-midi de juin. Lorsque j’ai expliqué à mes amis que je partais le dix, ils m’ont tout de suite proposé de me déposer au pied du terminal.

Alors que Preston conduit la voiture jusqu’à Logan, l’aéroport de Boston, je me remets à penser à la dernière fois que j’ai pu passer une nuit magique. C’était il y a presque deux mois, et je me souviens de chaque seconde de cette soirée.

 

– Bonsoir, me salue un homme à la voix suave, qui vient, mine de rien, de se poster à côté de moi.

Cela fait maintenant près de dix minutes que j’admire une œuvre magnifique, réalisée au fusain ; elle représente une femme, de dos, un simple mais élégant tissu drapé autour de ses hanches. Le dessin est sublime, comme tous les autres de l’artiste mise à l’honneur ce soir-là, à la galerie Barbara Krakow. Preston, grâce à ses relations, a obtenu une poignée d’invitations à ce vernissage prestigieux et Ellie m’a proposé de passer la soirée avec eux.

– Bonsoir, réponds-je, curieuse, en tournant la tête vers l’inconnu.

Je ne m’attendais pas à poser les yeux sur un homme aussi… séduisant. Des iris d’un bleu azur, une peau de miel, des lèvres pleines et un demi sourire charmeur qui m’hypnotise en un instant. J’ai soudain l’impression d’être une midinette à son premier concert de boys band, mais la sensation n’est pas entièrement désagréable.

– Cette toile vous plaît ?

Sa voix m’enveloppe comme un écrin de velours, elle m’envahit tout entière et un délicieux frisson me parcourt de la tête aux pieds.

– Elle est remarquable, murmuré-je en admirant, de nouveau, le tableau rayonnant d’une grâce intemporelle.

– Remarquable, vous avez tout à fait raison. Je trouve ça tout à fait fascinant d’arriver à montrer des formes aussi belles, aussi sensuelles, avec si peu de tracés. C’est suggéré et en même temps, on a l’impression qu’on pourrait tendre la main et la toucher. Un travail d’une rare qualité.

Je me tourne une nouvelle fois vers lui, subjuguée par ses paroles, et une envie inattendue et tout à fait irrépressible me saisit : m’éclipser avec lui et le laisser me posséder.

– Veuillez m’excuser, je ne me suis pas présenté, je m’appelle Damon.

– Eh bien, enchantée, Damon. Je suis Joanna, mais tout le monde m’appelle Joy.

Je sens mes joues s’embrasser lorsqu’il m’offre un sourire aussi sincère que ravageur.

– Tout le plaisir est pour moi, Joanna.

L’homme me tend alors sa main et je lui rends son geste avec un certain abandon, mais lorsque je relâche enfin mes doigts, lui resserre les siens avec délicatesse et m’invite à m’approcher de lui. Il lève alors son autre main et effleure ma joue.

– Vous aviez un cil sur la pommette, souffle alors Damon, si près de moi que son parfum, masculin et enivrant, envahit mes narines.

Je me retiens de fermer les yeux et de me pencher pour me réfugier dans son cou. Après tout, il y a un risque non négligeable pour qu’il s’en offusque et, franchement, c’est la dernière chose dont j’aurais besoin, là, tout de suite.

Un courant électrique me parcourt l’échine et je crois bien que je ne suis pas la seule à être emportée par le romantisme de cette rencontre fortuite. Je vois les pupilles de mon interlocuteur se dilater. J’avale ma salive et tente de trouver quelque chose à dire, qui soit à la fois pertinent et spirituel.

– Je… essayé-je. Vous…

– Moi ?

Je plonge dans son regard, et là, maintenant, je ressens un besoin tout à fait impérieux qu’il m’emmène dans un endroit plus intime pour laisser libre cours aux idées extrêmement vilaines qui jaillissent soudain de chaque recoin de mon esprit. Je n’ai jamais ressenti ça de toute ma vie, et ce n’est pas mon genre de réagir de la sorte aussi rapidement, mais il se passe quelque chose de fort et je parierais n’importe quoi qu’il s’en est aperçu aussi.

Le silence s’étend, il a toujours ma main dans la sienne et son visage n’est qu’à quelques centimètres du mien.

Je n’ai pas vraiment le temps de réaliser ce qu’il se passe, qu’il s’écarte et fait mine de partir, m’entraînant dans son sillage avec la force d’un raz-de-marée.

 

– Joy ?

– Hein ? Quoi ?

– Ton avion est à quelle heure, déjà ? me demande Ellie, en riant.

– Euh… vingt-trois heures vingt.

– T’étais partie où ? m’interroge à son tour Preston en me lançant un nouveau regard pour le moins espiègle à travers son rétroviseur.

– Euh… nulle part ! Et regarde la route, Preston, si tu veux bien. J’aimerais autant ne pas passer mes vacances aux urgences, hein ?

– À vos ordres, mademoiselle.

Les deux tourtereaux rient de bon cœur.

– Désolée, je pensais…

– À ton inconnu sexy ? suggère Ellie avec facétie.

– Comment tu fais pour toujours deviner ce qui me passe par la tête ?!

– C’est un don que j’ai, comme tu le sais. Accessoirement, tu parles sans arrêt de lui ! Je n’arrive pas à croire que tu as sûrement vécu ton premier coup de foudre et que tu t’es éclipsée le lendemain.

– Il avait une alliance, Ellie, soupiré-je, toujours aussi déçue, deux mois après ma triste découverte.

– Tu m’as dit qu’elle était à sa main droite ! Ce n’était sûrement qu’une bague ! Ou alors il confond sa droite et sa gauche. Ce n’est pas dramatique, tu sais. Moi aussi, je confonds ma droite et ma gauche. Mais bon, dans ce cas, il est aussi marié, et ça…

– Du calme, Ellie, du calme ! C’était une bague qui ressemblait furieusement à une alliance, je te dis. Un anneau simple, en platine.

– Comment tu peux savoir que c’était du platine ?

– Parce que, ma très chère amie, contrairement à toi, je fais très attention à ce genre de détails et cette alliance devait valoir une belle petite fortune.

– Et tu ne l’avais pas remarquée avant ?

– Non ! J’étais bien trop occupée à me perdre dans ses yeux bleus, il était tellement, mais tellement…

Je m’arrête brusquement lorsque Preston explose d’un rire amical mais parfaitement narquois.

– Ce n’est pas très beau, monsieur l’éditeur, de se moquer comme ça !

– Désolée, Joy, tu as raison, répond-il sans pour autant cesser de se payer ma tête.

– Ellie, ma belle, frappe-le pour moi, s’il te plaît.

Ma meilleure amie se tourne alors vers moi, une moue ennuyée sur le visage, comme si je venais de lui demander de couper son jules en deux dans le sens de la longueur.

– Tu ne vas même pas me défendre ! m’offusqué-je, un large sourire aux lèvres malgré tout.

– Mais… !

– Ellie est incapable de me faire du mal… Mais de toute façon, c’est à elle-même qu’elle en ferait si elle essayait de me frapper.

– Hé ! se scandalise Ellie en assenant pour la forme une tape un peu sèche sur l’épaule de son amant.

Preston se marre de plus belle, tandis qu’Ellie râle qu’effectivement, elle s’est fait mal aux doigts. Ces deux-là se sont vraiment trouvés, et se sont métamorphosés, aussi, sous l’effet du bonheur qu’ils ont trouvé l’un chez l’autre. Depuis qu’ils sont ensemble, Ellie est encore plus rayonnante et Preston, qui, d’après les dires de ma meilleure amie (et du tout-Boston), avait une propension débridée à se montrer désagréable et acerbe, a beaucoup changé. L’homme est toujours dur en affaires et particulièrement exigeant avec ses auteurs et ses employés, mais, de ce que j’ai pu moi-même observer, quand Ellie est là, il n’a d’yeux que pour elle, comme s’il voulait lui décrocher la lune à chaque instant.

Quelques minutes plus tard, il se gare sur le dépose-minute de l’aéroport. Alors qu’il sort mon bagage de son coffre, ma meilleure amie me prend dans ses bras et me serre aussi fort qu’elle le peut.

– Profite de tes vacances, et appelle-moi pour donner des nouvelles, OK ?

– Tu sais que je ne pars que deux semaines, m’amusé-je, passant à mon tour les bras autour du cou d’Ellie.

– Tu vas me manquer, quand même.

Je dépose un baiser sur sa joue, puis embrasse aussi Preston avant de déplier la poignée de ma valise et de me diriger dans l’aéroport. Un dernier signe de la main pour leur dire au revoir et je me tourne juste à temps pour voir les deux amants échanger un baiser passionné, avant de remonter en voiture.

 

***

 

 

– Pardon, pardon… m’excusé-je en me faufilant à ma place dans l’avion.

Je trouve enfin le numéro de mon siège et m’installe côté hublot. J’envoie un dernier message à Ellie pour lui dire que je suis bien montée à bord, puis éteins mon smartphone. Je sors mon livre, que j’installe dans la pochette devant moi, avant de glisser mon sac à main sous le siège du passager de la rangée précédente.

Je soupire de satisfaction et laisse aller mon crâne contre l’appuie-tête, derrière moi. J’ai à peine fermé les yeux que le visage de Damon se dessine devant moi : son regard intense, les traits ciselés de son beau visage, son sourire ravageur et, surtout, le son de sa voix douce dans mon oreille, alors qu’il me faisait l’amour. Parce que c’est ce que nous avons fini par faire, cette nuit-là. Finalement, je ne l’ai pas vécu comme un simple coup d’un soir, comme ça, pour satisfaire une attirance purement sexuelle ; je suis convaincue qu’il s’est passé quelque chose de plus, ce soir-là. Je ne saurais pas expliquer quoi, mais je crois que, comme l’a dit Ellie, il y avait quelque chose de l’ordre du coup de foudre.

 

Ses lèvres se perdent dans mon cou. Il y mordille la chair, avant de venir sucer la peau, à la jonction de mon épaule et de ma nuque, tandis qu’il me pénètre avec une lenteur presque insupportable. Mes jambes se resserrent convulsivement autour de ses hanches, mes mains caressent son dos, ses cheveux, ses épaules. Ses mouvements de plus en plus amples font monter en moi un plaisir incommensurable. Il attrape l’un de mes genoux et m’incite gentiment à relever la jambe encore davantage, lui permettant d’intensifier ses pénétrations et les sensations déjà extraordinaires qu’il me procure à chaque seconde.

J’ai l’impression d’être dans un autre monde, plein de volupté et de sensualité ; ma nuque se courbe vers l’arrière alors que ma respiration s’accélère. Il relève la tête et plonge son regard dans le mien pendant que ses reins maintiennent leur cadence langoureuse. Je suis déstabilisée par ses yeux azur qui semblent me sonder jusqu’aux tréfonds de mon être. Nous ne nous quittons pas du regard, alors que s’échappent de ma gorge des gémissements tendus, de plus en plus nombreux.

Tout mon corps est en ébullition ; j’ai une terrible envie de jouir, mais la montée est sans fin. Sa chaleur m’enveloppe totalement et, lorsque sa bouche se pose sur la mienne et me goûte avec une surprenante délicatesse, un orgasme fulgurant me terrasse, mais Damon continue ses va et vient, prolongeant mon plaisir encore et encore. Sa langue se lie à la mienne et je le sens soudain trembler contre moi. Nos corps sont en sueur et son souffle pantelant effleure la peau sensible de mes lèvres. Quelques instants plus tard, ses pénétrations s’intensifient et se font à la fois plus rapides et erratiques. Je pensais que mon corps en aurait assez, mais je suis étonnée de sentir mon plaisir remonter de nouveau. Lorsqu’enfin il jouit à son tour, ses doigts se resserrent sur la chair de ma cuisse, qu’il agrippe toujours, et autour de ma main, qu’il tient dans la sienne.

À bout de souffle, nous nous regardons, un peu hagards et étonnés de cette alchimie, cette compatibilité si intenses qui semblent exister entre nous. J’ai connu quelques hommes dans ma vie, je suis même restée près de cinq ans en couple avec l’un d’eux, mais jamais je n’ai ressenti une telle extase avec un parfait inconnu. J’ai fait l’amour avec un homme que je connais depuis une demi-heure et je n’en reviens toujours pas.

 

– Mesdames, Messieurs, bonjour et bienvenue à bord de l’A321 Jet Blue à destination de Saint-Domingue-Las Américas. Notre temps de vol sera aujourd’hui de trois heures cinquante-cinq. À l’arrivée, un ciel dégagé nous attend, avec une température de vingt-trois degrés. L’équipage et moi-même vous souhaitons un agréable voyage.

J’attache ma ceinture de sécurité, tout en repassant en boucle dans ma tête jusqu’au moindre détail de cette nuit magique. Je n’ai toujours pas compris ce qu’il s’était passé pour qu’un lien pareil s’établisse aussi naturellement entre nous. Nous avons échangé quelques mots devant cette toile, il a ensuite retiré ce cil de ma joue, et c’était fini. Quelques minutes plus tard, il nous prenait une chambre dans un hôtel luxueux, juste en face de la galerie, et l’instant suivant, il était profondément enfoui en moi. Impossible de résister.

Le lendemain matin, en revanche, ce fut la douche froide, lorsque j’ai aperçu cette fameuse alliance. Alors certes, elle n’était pas sur la bonne main, mais elle scintillait, bien en vue sur son annulaire, et je m’y connais assez en bijoux pour faire la différence entre une alliance et une simple bague. Je me suis sentie un peu honteuse d’avoir eu une relation sexuelle avec un homme marié, enfin en tout cas, je l’ai supposé, et je n’ai pas hésité un instant quand je suis partie sans me retourner.

J’ai vécu, dans ma vie amoureuse, mon lot de situations complexes, et je me suis promis, il y a bien longtemps, de ne plus chercher de relation compliquée… encore moins avec un homme supposément marié. Malgré la nuit magnifique que j’ai passée avec lui, les possibles emmerdements liés à sa condition m’ont vite fait relativiser tout ça. C’était un moment hors du temps, et je le chérirai jusqu’à mon dernier jour, mais il ne sera jamais plus que ça, un souvenir intense.

Maintenant, je dois mettre cette nuit dans un coin de ma mémoire et profiter de mes vacances imminentes, qui s’annoncent, je l’espère, des plus reposantes. L’hôtel dans lequel je dois séjourner appartient à un ami de mes parents, que je connais depuis toujours, mais je n’avais jamais encore eu l’occasion de prévoir un voyage en République Dominicaine pour profiter des charmes de l’île et lui rendre visite ailleurs qu’à Boston.

2

DAMON

Je respire profondément en quittant l’autoroute, juste après Santiago de los Caballeros. J’ai passé quelques jours entre Saint Domingue et Punta Cuna et me voici en route vers le nord de la République Dominicaine pour rejoindre la petite ville de pêcheurs de Puerto Plata.

Le sud de l’île est une petite merveille, cette ambiance caribéenne très électrisante est particulièrement prisée des touristes. Moi qui suis grec, je retrouve forcément un peu de chez moi, même si la Méditerranée a quelque chose qui lui est bien propre. Dès que je viens ici pour les affaires, tout mon temps se concentre autour de la mer des Antilles. Mais cette fois-ci, je veux explorer l’autre versant de l’île, le côté plus sauvage, moins bondé aussi.

J’ai encore un peu plus d’une heure de route et je savoure mon voyage. Comme à mon habitude, j’ai loué un Jeep Wrangler. Pour moi, il n’y a rien de mieux, entièrement décapoté, je profite pleinement des paysages à couper le souffle qui se profilent autour de moi. La douce brise caresse ma peau et malmène mes cheveux. L’air des tropiques fouette mon visage et je me détends.

J’avoue, je mène une vie de rêve, entre la Grèce, la République Dominicaine et la côte Est des États-Unis, plus particulièrement Boston, où s’est établie la succursale américaine de ma compagnie.

Ma contemplation est interrompue par un appel. Je regarde l’écran et souris en découvrant qu’il s’agit de Yiannis, mon meilleur ami et vice-président en Grèce. Je décroche prestement et bascule en haut-parleur.

– Damon ! me salue gaiement mon ami.

– Salut. Comment tu vas ?

– Ce serait plutôt à moi de te poser la question, vu que c’est toi qui es parti te prélasser sous les tropiques !

Je ris franchement à cette taquinerie.

– Que veux-tu, il y a quelques avantages à être PDG, non ?

– Oui, c’est sûr.

– Un problème ?

– Non, aucun. Je voulais juste savoir où tu en étais.

– Je me rends sur Puerto Plata en ce moment même. Il fait un temps magnifique, je profite et savoure.

– Tant mieux.

– Et en Grèce, tout se passe bien ?

– Rien à signaler non plus, ne t’inquiète pas.

– Eh bien, les vacances n’en seront que meilleures encore.

– Je ne t’embête pas plus longtemps.

– Ça marche, bonne soirée à toi. Embrasse Alessia de ma part.

– Je n’y manquerai pas. Bye.

Il y a six heures de décalage horaire entre ici et la Grèce. J’imagine très bien Yiannis sur le point de quitter le bureau pour rejoindre sa femme. Quant à moi, mon estomac commence à se manifester. Malgré le copieux petit-déjeuner que j’ai dégusté à mon hôtel, je commence sérieusement à avoir faim. Le jogging avant de prendre la route n’était peut-être pas judicieux. J’espère que le service restauration de l’hébergement que j’ai réservé sera à la hauteur de mes attentes.

Une fois sorti de l’autoroute, le trajet se fait un peu plus chaotique, plusieurs portions de route n’étant pas bitumées, d’où la location d’un 4x4.

J’ai jeté mon dévolu sur un petit hôtel qui ne paie pas de mine à côté des luxueux établissements où j’ai l’habitude de résider, mais les notes des clients sont excellentes, ce qui a motivé mon choix.

Malgré son emplacement presque confidentiel, le GPS m’y conduit sans grandes difficultés. À peine l’entrée du domaine franchie, je ne peux m’empêcher de comparer et de noter mentalement tout ce qui pourrait être amélioré, l’accueil du client en premier lieu, parce que j’ai beau garer mon véhicule sur une des places réservées, je m’étonne de ne voir aucun personnel se porter à ma rencontre. Je n’en fais cependant pas grand cas, je quitte le Wrangler et rejoins la réception de l’établissement. Après tout, j’ai choisi cet endroit, je dois me plier aux procédures locales.

Je note avec appréciation que les extérieurs sont aménagés avec beaucoup de goût, des plantes et des fleurs exotiques côtoient de nombreux arbres, l’ensemble offrant un tableau fort plaisant.

Je me poste au guichet, dépose mon sac de voyage à mes pieds et m’accoude nonchalamment en attendant que quelqu’un se présente à moi.

Je jette un œil circulaire aux alentours. Les lieux me donnent l’impression d’une ambiance très intimiste bien qu’un peu désuète. Tout est propre et ordonné, mais il manque ce petit plus qui me ferait dire . Plus précisément, cela manque de personnalité, d’identité forte. C’est dommage, rien qui ne marque définitivement les esprits, au final.

Après quelques minutes d’attente, je vois enfin un homme plus petit que moi, de corpulence assez forte, sortir d’une pièce attenante à l’accueil. Il a l’air essoufflé comme s’il venait de mener une bataille contre les grosses blattes qui pullulent sur l’île. Il porte un short beige et une chemise aux motifs floraux d’un goût assez discutable. Il est vrai qu’en comparaison, avec mon pantalon beige en lin et mon polo bleu marine, je détonne un peu.

 

– Oh ! Navré, je ne vous ai pas entendu. Excusez-moi. Bonjour. Je suis Harold Jensen, le propriétaire de l’hôtel.

– Enchanté. Damon Kostas. J’ai fait une réservation.

– Oui, bien sûr. Le cottage de luxe, le plus à l’écart, celui qui surplombe l’océan.

– Tout à fait, vous avez une bonne mémoire.

– Je mets un point d’honneur à connaître ce genre de choses, je vais vous demander vos codes de réservation, une pièce d’identité et une carte bancaire, s’il vous plaît.

Je m’exécute et me renseigne, tandis qu’il vérifie mes données.

– Cela fait longtemps que vous êtes propriétaire des lieux ?

– Depuis l’ouverture de l’hôtel, il y a plus de quinze ans. Nous avons décidé, avec ma femme, après plusieurs voyages sur l’île, de tout plaquer et de nous installer ici. Nous avons investi toutes nos économies dans cet établissement.

– Vous n’êtes que tous les deux pour gérer la boutique ? m’étonné-je en haussant un sourcil.

– Non, rit-il. Nous avons une petite équipe de dix salariés permanents et en saison haute, nous embauchons des intérimaires. Tout le monde est parti déjeuner, voilà pourquoi je m’occupe de l’accueil.

– Ah d’accord, je comprends mieux.

– Tenez, dit-il en me rendant mes papiers. Tout est en ordre. Voici la carte de votre cottage. Je vais vous y accompagner.

Il sort de derrière le comptoir et m’emboîte le pas. Nous passons devant une grande salle où un petit groupe est installé autour d’un copieux repas.

– Voici l’espace restauration. Si vous le souhaitez, vous pouvez commander et demander à être servi dans votre logement. Le plus gros des cottages se situent sur terre, dissimulés au cœur du domaine, mais une petite dizaine s’articule autour de deux pontons, au-dessus de l’océan. L’hôtel possède une plage privée où seuls les clients ont le droit de se baigner. Différentes activités sont proposées en fonction de vos attentes et envies. Vous connaissez la région ?

– Je suis un habitué du Sud, mais je ne suis vraiment pas familier de votre partie de l’île. Je compte bien remédier à cette lacune, cela dit.

– N’hésitez pas à jeter un œil aux nombreux prospectus à l’accueil et à demander conseil au personnel, il saura vous guider aisément.

Nous arrivons au bord de l’eau et je suis Harold alors que nous remontons un ponton qui se scinde en deux chemins. Mon cottage se situe à l’extrémité, à gauche. Je note une distance tout à fait raisonnable et acceptable entre chaque habitation, qui offre intimité et discrétion.

– Et vous voici chez vous pour les deux semaines à venir. Votre cottage possède un espace cuisine, un coin salon et une chambre avec salle de bains. Une femme de ménage peut passer tous les jours, ou moins, en fonction de vos besoins, n’hésitez pas à nous signaler toute demande sur le fascicule posé sur le bureau. Le linge de maison peut également être changé quotidiennement. Je vous laisse prendre possession des lieux et vous installer. Je reste à votre disposition.

– Merci beaucoup Harold.

Une fois seul, je vais mettre mon sac dans la chambre et fais le tour des lieux. Les fournitures sont de bonne facture, des baies vitrées courent sur toute la longueur des murs, offrant une clarté et une vue à couper le souffle sur l’océan et les reliefs de l’île. J’ouvre l’un des battants et avance de quelques pas sur la terrasse qui surplombe l’eau. Il règne un calme si reposant. Je prends une profonde respiration et ferme les yeux, me laissant porter par les embruns et le chant des oiseaux.

Je me demande quand était la dernière fois que j’ai pris des vacances. Mon train de vie laisse penser que je suis en congés toute l’année, à voyager entre pays paradisiaques, mais c’est très loin de la vérité. Je n’arrête jamais véritablement. Il est peut-être temps de lâcher prise et tout simplement profiter.

Déjà s’échafaude dans ma tête un planning du vrai touriste. Je ne connais pas très bien cette partie de l’île, mais j’ai fait quelques recherches et le sportif que je suis ne compte pas lambiner et passer son temps à se prélasser sur le sable chaud.

Une fois encore, mon estomac se manifeste de manière assez bruyante. Je passe rapidement dans la salle de bains avant de rejoindre le restaurant. Il faut absolument que je mange quelque chose avant d’attaquer l’après-midi.

Cette fois-ci, je suis rapidement pris en charge, je m’installe dans un coin isolé et détaille la carte tout en observant les lieux et la vue qui donne sur la plage privée. Au menu, de la cuisine typiquement dominicaine.

 

– Vous avez fait votre choix, Monsieur ?

– Oui, je prendrai un bandera dominica, s’il vous plaît.

– Très bien, et en boisson ?

– Une bière locale, peu importe, ce sera parfait.

– C’est noté, je vous apporte ça tout de suite.

– Gracias.

La serveuse me lance un grand sourire et s’éclipse le temps d’aller chercher ma bière qu’elle dépose devant moi, non sans m’adresser une œillade appuyée.

Je suis habitué à ce genre de sollicitude et j’en ai très souvent profité, pourquoi se priver ? Mais le côté éphémère commence à me lasser. Je suis assez envieux de Yiannis et Alessia. J’ai assisté à leur rencontre dans un club branché d’Athènes. J’ai été témoin de l’évolution de leur relation et j’ai vu mon meilleur ami changer au contact de sa dulcinée. Elle l’a canalisé, elle l’a rendu meilleur, c’est indéniable. Je ne dis pas que j’ai envie de changer, que je pense avoir besoin de le faire, mais j’ai envie de trouver chaussure à mon pied. À presque quarante ans, il serait temps. Quand j’aurai trouvé la bonne, je saurai. En attendant, je profite.

Dix petites minutes plus tard, la serveuse est de retour avec une assiette copieusement fournie qui sent délicieusement bon. Ce mets traditionnel regroupe de la viande, du riz, de la purée de haricots, des bananes plantains frites et une salade d’avocats. Un assortiment très complet, parfait pour me rassasier.

 

– Votre plat, Monsieur. Bon appétit.

– Gracias.

– De nada.

Avec un père grec et une mère américaine, d’origine dominicaine, j’ai, dès mon plus jeune âge, baigné dans la pluralité culturelle. Cela tenait à cœur à mes parents de m’apprendre un maximum, ils voulaient que mon éducation soit riche et intense. Toute mon enfance, j’ai donc jonglé entre le grec, l’anglais et l’espagnol. Plus tard, avec le lycée et les études supérieures, j’ai appris le français, l’italien et le chinois. Je suis un boulimique de connaissances. Il m’en faut toujours plus. Je suis à l’affût permanent et j’aime d’autant plus voyager dans des régions riches en passé et en histoire. J’en ressors rarement sans avoir appris de nouvelles choses.

Le plat est un véritable délice. Ce n’est pourtant pas une découverte, mais il est vraiment excellent, parfaitement épicé. Je ne manque pas de le faire savoir alors que la serveuse vient me débarrasser.

– Vous pourrez dire au cuisinier que c’était succulent ?

– Mme Jensen sera ravie de l’apprendre.

– Mme Jensen, la femme d’Harold ? rebondis-je.

– Oui, c’est bien elle.

– Eh bien, chapeau à la propriétaire alors, vraiment.

– Merci pour elle. Un dessert ?

– Non, je vous remercie. Vous pourrez mettre le repas sur ma note ? Cottage Flamboyant.

– C’est noté, Monsieur.

Je la remercie et décide de faire une petite promenade digestive avant de rejoindre le hall d’accueil afin de jeter un œil aux prospectus, comme me l’a suggéré Harold.

– Ah, Monsieur Kostas ! me salue-t-il en me voyant venir à lui. Tout se passe bien ? Vous êtes bien installé ?

– Très bien. Je viens du restaurant. Vous ne m’aviez pas dit que votre femme gérait la cuisine. C’était excellent.

– Elle sera très heureuse de l’entendre. Elle préfère mille fois s’occuper derrière les fourneaux que de gérer la partie administrative.

– Cela lui réussit, et les clients doivent apprécier.

– Effectivement. Vous venez vous renseigner pour des activités ?

– Oui. Que me conseillez-vous ?

– Eh bien… un homme de votre carrure, plutôt des vacances sportives ?

– Vous supposez bien.

– Dans ce cas, vous pouvez louer un quad pour faire des balades, chez County World Adventure Park, dit-il en attrapant le dépliant correspondant. Autre sortie possible, il y a Caseta de Guardaparques Reserva Científica Le Salcedoa, dans les terres, ou alors le parc national Isabel De Torres, des étendues verdoyantes sur la montagne avec de nombreux jardins et une statue du Christ. C’est accessible en téléphérique, aussi.

Je jette un œil sur différentes photos, mais je ne suis pas très emballé et Harold a l’air de le remarquer.

– Ah, voilà ce que je cherchais. 27 Charcos. Je suis persuadé que cela vous plaira. Un complexe de vingt-sept cascades avec visites guidées à sensations fortes qui incluent randonnée, glisse et nage.

– Effectivement, voilà qui me parle bien plus, acquiescé-je.

– Si vous aimez ça, vous pouvez aussi visiter la maison du rhum Macorix et le muséum d’art Mundo King.

– Je suis preneur également. Je vous remercie, je pense trouver mon bonheur parmi tout ça.

– Vous m’en voyez ravi.

– Harold ? nous interrompt une voix féminine tout à fait charmante.

Nous nous tournons en même temps vers la source du son, qui s’avance vers nous d’un pas assuré. Aussitôt mes yeux plongent dans les siens. D’un bleu tout à fait saisissant, envoûtant. Je déglutis nerveusement et rassemble les différents papiers entre mes mains, histoire de m’occuper alors qu’elle s’arrête à quelques pas seulement de moi.

– Joy ?! s’exclame l’hôtelier. Tu es déjà arrivée ?

À suivre…

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